Bernard Guetta, lauréat du prix Albert Londres en 1981, a notamment été journaliste au Monde, journal pour lequel il a suivi la désintégration du bloc de l’Est dans les années 1980. Longtemps éditorialiste à France Inter, il est devenu député européen en 2019. (a/s de Bernard Guetta, La nation européenne, Flammarion, 2023, 192p, 20€)
Bernard Guetta propose un intéressant compte-rendu de mandat et trace des perspectives pour le futur de l’Union européenne (UE) sur lesquelles on peut être plus sceptique.
L’auteur se définit comme un « député journaliste » et s’octroie une liberté de ton qui est fort appréciable dans un monde politique où la langue de bois a tendance à dominer. Européen convaincu, témoin direct des événements qui ont bouleversé l’Europe à la fin du XXe siècle, Bernard Guetta ne cache pas les limites et les défauts de l’institution à laquelle il appartient sans pour autant la dénigrer. Il évoque ainsi les pouvoirs limités dont dispose le Parlement européen par rapport aux États.
Pour l’auteur, si une démocratisation de l’Union est souhaitable, il estime, au grand dam de certains de ses collègues, que ce n’est pas la priorité car les chefs d’États et de gouvernements siégeant au Conseil européen ont su, tant à l’occasion de la crise du Covid-19 que de la guerre en Ukraine, prendre des décisions qui ont permis un renforcement de l’UE. Ainsi, l’émission de dettes communes ou le lancement d’une Europe de la défense, inenvisageable il y a encore quelques années, sont devenus une réalité et force est de constater que le Parlement européen n’a joué dans ces domaines qu’un rôle subsidiaire.
Un Parlement irresponsable ?
Partisan assumé d’un fédéralisme européen, il estime toutefois que cette perspective, objectif qui reste selon lui pertinent, n’est pas envisageable avant longtemps car en l’état, d’une part, les citoyens des États de l’Union restent majoritairement attachés à leur État et, d’autre part, le Parlement européen n’est pas prêt à assumer plus de responsabilités. Il soutient que la démocratisation de l’Union passera notamment par une refonte transnationale des engagements partisans car, fidèle à la théorie macroniste, il estime que les partis politiques existants seraient incapables de penser véritablement l’Europe car trop liés à leurs préoccupations nationales.
Sur ce point, il peut être objecté que les partis politiques se sont depuis longtemps structurés au niveau européen. En France, il est vrai qu’aux dernières élections, le Parti socialiste, comme d’autres partis à l’exception peut-être de l’extrême droite, n’a pas mis en avant son engagement au sein du Parti socialiste européen. Toutefois, il s’agit d’un choix conjoncturel et non structurel.
Il est donc tout à fait possible de faire un choix différent et d’inscrire de futures campagnes dans un cadre européen, avec un programme clairement identifié, comme cela avait été le cas en 2009 pour le Parti socialiste avec Le Manifesto. Dès lors, on peine à voir en quoi des mouvements à l’idéologie imprécise comme celui initié en France par Emmanuel Macron, et qui auraient pour unique adversaire l’extrême droite, constitueraient un progrès pour les citoyens européens.
Le néolibéralisme pour horizon ?
Plus généralement, c’est sans doute dans les perspectives que Bernard Guetta trace pour l’Union européenne que le lecteur pourra se montrer circonspect. Si l’on peut partager beaucoup de constats et de principes déclinés par l’auteur, celui-ci fait toutefois l’impasse sur la question économique qui est pourtant une des clés pour expliquer les dysfonctionnements de l’Union européenne et envisager son avenir.
Pour Bernard Guetta, le système capitaliste semble en effet indépassable et faisant consensus au sein des démocrates européens. Or, un tel raisonnement conduit à renoncer à toute transformation en profondeur de nos sociétés.
Si la transition énergétique n’avance guère, ou que les services publics se délitent, c’est bien parce que les États ont donné mission à la Commission européenne de mettre en œuvre une politique néolibérale visant à briser la gestion publique de services aussi fondamentaux que le transport ferroviaire ou la production et la distribution d’énergie avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui. Or ces politiques pour lesquelles les États ont opté depuis les années 1980 ne sont ni indépassables ni irréversibles.
En effet, il faut se souvenir qu’en leur temps les Communautés européennes ont pu se construire avec d’efficaces monopoles d’États pour gérer certains services publics. Pour ne prendre qu’un exemple dans l’actualité, le transport de fret ferroviaire, incomparablement plus écologique que le transport routier, transportait en France 57,7 milliards de tonne-kilomètre en 1984 au lieu de 32 milliards en 2018, alors que le secteur a été totalement libéralisé en 2006. S’il va de soi qu’une alternative politique et économique n’est pas à rechercher dans les systèmes soviétique ou chinois, cette alternative réside dans un socialisme démocratique. La question économique domine toutes les autres, et priver les citoyens d’y répondre ne peut qu’engendrer un désintérêt croissant pour le système démocratique qui est notamment illustré par la faiblesse de la participation aux différentes élections, phénomène qui ne concerne malheureusement pas que notre pays.
Nicolas Ciron
L’Ours 530, juillet-août 2023, p.2