Les sciences politiques sont mises à l’honneur dans cet ouvrage. Les auteurs livrent les résultats d’une longue étude, croisant les statistiques et les différents baromètres politiques et s’appuyant sur les données de la sérieuse « enquête électorale française » menée par le CEVIPOF. Une synthèse riche d’enseignements.
(a/s de Yann Algan, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen, Martial Foucault, Les origines du populisme. Enquête sur un schisme politique et social, Le Seuil, 2019,190p, 14€)
Article paru dans L’OURS 493, décembre 2019
Le titre de l’ouvrage est sans doute maladroit car il ne s’agit pas d’une analyse historique mais bien « actuelle », en pleine résonance avec cette année de « gilets jaunes » et de macronisme naissant… La gauche et la droite existent-elles encore ? Qui sont les électeurs de Macron ? Ceux de la France insoumise ? Ceux du Rassemblement national ? D’où viennent ces colères et ces rejets du système ? Quelle cohérence dans le mouvement des gilets jaunes ? Quels sont les nouveaux clivages politiques ?…. Bref, l’ouvrage porte une ambition : redéfinir la carte électorale et sociologique française !
Des clivages politiques bouleversés
On a trop facilement déclaré que l’électorat du Parti communiste s’était déporté vers le Front national. Preuve à l’appui, l’affaire est plus complexe. Les auteurs mettent en avant la croissance de l’abstention des électeurs communistes et l’apparition de nouveaux électeurs du front national, largement dépolitisés et plutôt abstentionnistes, qui ont renforcé les votes lepénistes (père et fille)
La droite et la gauche c’est fini ? Pas si sûr ! L’ouvrage démontre adroitement que le clivage existe encore… mais qu’il s’exprime d’une manière moins partisane… sans doute la faute aux partis traditionnels, incapables de proposer des alternatives crédibles et lisibles pour les électeurs. Ainsi, la manière qu’ont les citoyens de concevoir le vivre-ensemble entre « accumuÂlation » et « redistribution » est parfaitement mise en évidence… les Gilets jaunes sont d’ailleurs équitablement répartis d’un côté et de l’autre de cette vision du monde dans lequel ils vivent !
La montée des antisystèmes
Rapport à la culture, à l’économie, aux partis politiques, tout est finement décortiqué. La montée des forces « antisystèmes » n’est pas dénuée de clivages politiques. Si l’indiviÂdualisme a pris la place du sentiment de classe, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, la confiance reste l’élément structurant du comportement électoral. Mais « l’affaiblissement des relations sociales et des leviers associatifs a transformé la confiance dans les institutions en confiance interpersonnelle ». Cette confiance entre les individus s’effiloche largement depuis le début des années 2000… Résultat, le sentiment de rejet prime sur le sens du collectif !
Par ailleurs, la géographie joue un rôle crucial. L’éloignement des centres de décisions, rassemblés dans les métropoles, se transforme en un sentiment de rejet du système… ce qui vient confirmer les analyses récentes sur ce sujet, notamment celles du démographe Hervé Le Bras.
L’émotion face à l’idéologie
L’ouvrage analyse la figure de « l’électeur émotionnel » qui oscille désormais entre peur et colère, entre peur du chaos et colère contre le système. L’individualisation de la vie sociale appelle, selon les auteurs la restauration de la confiance et le rétablissement de structures idéologiques, dont la vocation est de concevoir le vivre ensemble et non d’imaginer le monde par le seule prisme de son individualisme.
L’émergence, depuis les élections de 2017 d’une opposition entre centristes et populistes va-t-elle s’imposer durable en France? C’est ce que semblent croire les auteurs, sans pour autant trouver un modèle identique dans les montées du populisme en Europe.
Au final, l’ouvrage vient confirmer une intuition populaire, celle qui critique la politique et qui, en même temps, la réclame. Il n’y aurait donc pas « trop de politique » mais, au contraire, il n’y en aurait pas assez !
Jean-Frédéric Desaix