Une thèse universitaire sur les rapports entre le PS et la FEN : on pouvait s’attendre à du sérieux, mais aussi à de l’académique un peu austère. Or, nous découvrons un livre d’une lecture passionnante, fruit d’un dépouillement d’archives inédites et de recherche de témoignages considérable. L’auteur a une très fine connaissance de l’univers socialiste et du monde enseignant et c’est un moment crucial de leur histoire qui nous est restitué. Un bel ouvrage d’historien !
À propos du livre d’Ismaïl Ferhat, Socialistes et enseignants. Le Parti socialiste et la Fédération de l’Éducation Nationale de 1971 à 1992, Presses universitaires de Bordeaux, 2018, 382p, 29€
Article paru dans L’OURS 478, mais 2018.
L’interpénétration du socialisme français et du monde enseignant remonte à loin. En témoigne la participation régulière de Jaurès à la Revue de l’enseignement primaire. Les enseignants trouvent davantage la traduction de leurs traditions humanistes dans le mouvement socialiste que dans n’importe quelle autre formation. C’est donc naturellement que, dès sa naissance en 1948, refusant la scission entre la CGT et FO, la Fédération de l’Éducation Nationale, devenue la forteresse enseignante, éprouve des affinités particulières avec la SFIO. Dans les années 1950, les chiffres parlent : 43 % d’enseignants au comité directeur, et 33 % dans le groupe parlementaire. La droite n’en finit pas de railler « le parti des enseignants ». Après le froid consécutif à la guerre d’Algérie et les conditions de la venue de De Gaulle au pouvoir, la lune de miel réapparaît assez vite.
Une convergence d’intérêts
En fait, l’alliance est plus objective que formelle. La FEN est trop soucieuse de l’indépendance syndicale affirmée dans la charte d’Amiens pour se lier à un parti. Mais leur entente repose d’abord sur une convergence d’intérêts. La majorité socialisante de la FEN est aux prises avec, en son sein, une montée du courant Unité et Action, largement noyauté par les communistes, et a besoin d’un puissant allié. Et le PS est, de son côté, doublement intéressé par la FEN, pour le vivier militant qu’elle représente et pour la galaxie importante qui gravite autour d’elle : mouvements de parents d’élèves, cercles laïques, associations mutualistes… Dans un premier temps, chacun semble y trouver son compte. En 1977, la FEN compte 550 000 adhérents, qui en font la troisième centrale syndicale française.
Toutefois, leurs rapports vont se heurter assez vite à un certain nombre de défis et de remises en cause. D’abord, on est frappé par la fragmentation des rapports entre ces deux « partenaires ». Plutôt que de s’établir au niveau organisationnel, les liaisons emprunteront généralement le canal des relations éclatées. On retrouve bien là l’éternel jeu des courants au PS, les positions souvent conflictuelles entre syndicats enseignants, même s’ils appartiennent à la mouvance majoritaire. Le cas d’école, c’est lorsque Jospin, premier secrétaire du PS, affirmera n’avoir pas été informé du résultat des rencontres entre la FEN et Laurent Fabius, alors en charge officiellement des questions éducatives au parti…
Et puis, il faudra tenir compte des évolutions de la conjoncture. La majorité de la FEN est un colosse aux pieds d’argile. À partir de 1967, la tendance Unité et Action tient la plupart des syndicats du second degré et du supérieur. A cause des réformes des structures scolaires, les instituteurs diminuent par rapport aux professeurs.
Entre SNI et SNES
Avec la réforme Haby, le collège va devenir un échelon crucial des conflits. Le collège doit-il être la continuation de l’école primaire ou la première étape du second degré ? L’aspect pédagogique disparait derrière les intérêts partisans. Dans le premier cas, les enseignants du collège seront syndiqués au SNI-syndicat national des instituteurs. Dans le second cas, c’est le SNES – syndicat national de l’enseignement secondaire – et, avec lui, Unité et Action, qui rafleront la mise. La guerre fait rage. Or, dans l’entourage de François Mitterrand, on compte beaucoup d’Unité et Action – au nom de « l’ union de la gauche ». Une clarification est souvent demandée par la majorité de la FEN. Mais on sait que les mitterrandistes n’étaient pas des fanatiques de la clarification. Le maintien de l’ambiguïté favorisait la multiplication des ralliements. Donc, on ne tranche pas entre « l’école fondamentale » du SNI et « l’école progressive » du SNES. Ni le PS ni le FEN ne sortiront un projet d’ensemble cohérent. Face à la loi Haby, le PS se contente de rappeler « sa volonté de démocratiser l’enseignement et de réaliser les conditions d’égalité de chances de tous les jeunes »…
Par ailleurs, plusieurs éléments se conjuguent pour compliquer les rapports entre le PS et la FEN. La fin des « trente glorieuses » fait peser une pression supplémentaire sur l’école. La société se focalise sur l’emploi et sur les questions de formation. On pointe du doigt l’inadaptation de l’école aux réalités économiques. La montée du PS et l’arrivée de nouvelles couches d’adhérents entraînent une plus grande hétérogénéité culturelle et idéologique – afflux de catholiques, importance grandissante de la CFDT dans les rangs socialistes, mise en avant du féminisme, du problème des minorités… On évoque ici ou là, à la Ligue de l’Enseignement par exemple, une conception « nouvelle et ouverte » de la laïcité. Au nom de l’autogestion, on réclame une gestion tripartite de l’école avec les usagers, le personnel et l’État, et la présence grandissante des parents dans les organismes de gestion agace les enseignants.
Et puis, l’origine sociologique des militants socialistes se diversifie. Le pourcentage des enseignants diminue et les enseignants eux-mêmes s’éloignent des préoccupations éducatives, absorbés par des fonctions électives ou des responsabilités politiques. Au secteur Éducation du PS se manifeste un renforcement de la technocratisation, avec un repli sur le vivier parisien et élitaire.
L’éclatement de la FEN
L’échec du camp laïc en 1983 annonça le grand reflux. Ce qui fut confirmé par le recul devant le SNES, de Jospin, ministre de l’Éducation nationale, dans ses projets de réforme du collège. En 1989, la FEN ne syndiquait plus qu’un tiers des enseignants, et sa majorité ne pouvait plus s’appuyer que sur les instituteurs et les syndicats non enseignants. Menacés par la défaite, les majoritaires jouèrent l’éclatement et allèrent rejoindre une petite constellation de syndicats autonomes pour former l’UNSA – Union nationale des syndicats autonomes. Quant aux Unité et Action, ils créèrent la FSU, désormais première centrale syndicale enseignante de France.
Au terme de cette riche étude, on ne peut échapper à une réflexion amère. Les militants socialistes enseignants de cette période – dont nous fûmes – portent une responsabilité collective. A cette époque où se marquait un grand tournant, il fallait transformer la massification en réelle démocratisation. Il fallait définir le statut des enseignants en fonction des cycles, redéfinir les modalités d’enseignement, favoriser des orientations positives, amorcer des éléments de diversification qui n’étaient pas des hiérarchisations, articuler apprentissage et enseignement général… Rien de tout cela ne fut entrepris. On garda un enchevêtrement informe d’éléments de l’ancienne structure avec ceux de la nouvelle. Dans le malaise actuel de l’école, pèse – entre autres – le poids d’une réforme manquée.
Claude Dupont