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L’Église et le sexe, par Robert Chapuis

Les Cahiers d’histoire, publiés en lien notamment avec la Fondation Gabriel Péri, se définissent comme une « revue d’histoire critique ». Leur numéro de décembre 2020 a consacré son dossier central à la crise suscitée par les scandales sexuels qui se sont révélés dans l’Église au fil de ces dernières années. Coordonné par le médiéviste Arnaud Fussier, il se réfère aussi bien à l’histoire longue ( le tournant du XIIe et du XIIIe siècle) qu’à la période contemporaine (l’affaire Preynat-Barbarin). Les cinq articles de ce dossier sont particulièrement éclairants sur le sujet, dans le respect des croyants comme des non croyants.

La question sexuelle a structuré l’Église
Peu à peu s’ouvrent certaines archives (encore fort peu au Vatican ) et les témoignages se multiplient, notamment à travers l’association de victimes « la Parole libérée Â». Il y a bien matière à histoire. Celle-ci montre que la question sexuelle a en quelque sorte structuré l’Église dès les origines en distinguant les clercs des laïcs. Ces derniers sont voués au mariage qui permet la reproduction et la constitution d’une famille. Hors du mariage, point de salut… Le prêtre, lui est sacralisé, il est marié à l’Église. Les « pêchés de chair Â» font l’objet d’une confession auprès d’un prêtre : « cette technique de l’aveu qui, pensée par les Pères de l’Église, est inscrite dans l’horizon d’une obéissance infinie, garantit la discipline des corps et le contrôle des consciences Â».

La sexualité est un attribut de la nature, c’est sa définition et sa limite. Pour l’Église le rapport entre époux est « naturel Â», toute autre expression de la sexualité est « contre-nature Â», vis-à-vis de soi (masturbation) ou de l’autre (adultère, homosexualité). Le vÅ“u de chasteté répond au caractère sacré, quasi « surnaturel Â», du prêtre. Le célibat s’est imposé progressivement. Il concernait d’abord les cadres de l’Église, les évêques. Il est devenu obligatoire pour tous les clercs « consacrés Â» au concile de Latran en 1215. Il figure dans le droit canon qui a défini les structures et les procédures de l’Église, jusqu’à Vatican II. Les manquements sont soumis au jugement de l’évêque qui est lui-même soumis à Rome. Les fautes peuvent conduire à l’exclusion (le dossier en rappelle plusieurs exemples à divers moments de l’histoire). 

Sexe et pouvoir
La question sexuelle est étroitement liée à l’exercice du pouvoir. Mais celui-ci n’apparaît pas comme tel. Il disparaît derrière la notion de service. Le prêtre est au service des fidèles et l’Église est au service du bien commun (à travers l’État pendant des siècles…). Or il ne saurait y avoir d’abus de service ! Les abus sexuels à l’égard d’enfants ou de femmes (parfois des religieuses) doivent être condamnés parce qu’ils sont contre-nature, mais non comme abus de pouvoir.

Le dossier aide à comprendre cette logique, ces principes qui ont marqué la société à « l’âge confessionnel Â». Avec le XIXe siècle et ce que Michel Foucault a appelé « la volonté de savoir Â». la société s’est émancipée et le décalage n’a cessé de s’accroître entre les règles définies par l’Église et les usages sociaux. Le divorce, l’avortement, l’homosexualité sont pratiqués par des chrétiens et divisent l’Église. Les droits de l’homme relativisent ceux de la famille. La sexualité se conjugue avec la liberté et seule la loi en définit les limites. Le célibat des prêtres les met en marge de l’évolution sociale et présente le risque d’un dangereux refoulement. La pédophilie peut en être le signe tout autant que la fréquentation d’une femme dont on s’est fait le conseiller « spirituel Â». Les abus sexuels des prêtres sont bel et bien des abus de pouvoir analogues à ceux des « mâles dominants Â» dont la presse fait désormais la liste à longueur de colonnes.

Tout a changé depuis que les victimes ont pu prendre la parole. Les Chrétiens qui se sont associés pour libérer la parole ont interpellé la hiérarchie au nom de son pouvoir « systémique Â» dans l’Eglise. La notion de consentement ne fait pas partie du droit canon. Les abus sexuels sont des crimes ou des délits qui relèvent d’un tribunal civil et pas seulement d’un tribunal ecclésial qu’on appelait jadis l’Inquisition. C’est dans ce cadre qu’ils doivent être jugés et d’abord dénoncés. La création de la commission Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église marque une prise de conscience bien venue, tout autant que les sentences du pape François à l’égard de prélats chiliens ou américains. Deux questions se posent néanmoins à juste titre au terme de cet excellent dossier :

Ces abus sont-ils spécifiques de l’Église ou relèvent-ils surtout d’une conception patriarcale de la société encore très prégnante ?

Faut-il se contenter d’effacer de tels abus ou s’appuyer sur leur dénonciation pour réviser les structures et les procédures d’une communauté où clercs et laïcs puissent vivre ensemble et dans les mêmes termes leur foi et leur condition humaine ?

Vaste chantier, sans doute, mais cette revue contribue utilement à l’ouvrir.

Robert Chapuis

Dossier « Le sexe dans l’Église Â», Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique, octobre-novembre-décembre 2020, n°147, 236p, 17€

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