AccueilActualitéLéon Blum et la transformation sociale, par RAYMOND KRAKOVITCH

Léon Blum et la transformation sociale, par RAYMOND KRAKOVITCH

Blum était en 1934 le leader d’un Parti socialiste susceptible d’accéder au pouvoir, ce qui allait se réaliser deux ans plus tard. Il serait ensuite réduit à réfléchir durant cinq longues années de détention qui couvriront toute la période de guerre de 1940 à 1945. En étant miraculeusement sorti indemne, Léon Blum (1872-1950) utilisa pleinement les quelques années qui lui restaient à vivre pour agir par la plume et l’action politique.

Conquête et exercice du pouvoir

Les méandres de ses réflexions sont passionnants à suivre. En 1934, alors que le pouvoir se rapproche, il poursuit ses réflexions sur la différence entre conquête et exercice du pouvoir. La première, qui permettrait de supprimer le capitalisme et d’installer le socialisme, avec l’abolition du salariat et de la propriété privée, nécessite d’avoir, pour le Parti socialiste, la majorité à lui seul au Parlement. En attendant, il convient, lorsqu’on est à la tête d’une coalition de gauche, d’exercer le pouvoir dans le cadre du régime capitaliste.

Dans la première situation la socialisation de la société s’opérerait sans indemnisation du capital ; dans la seconde il y a lieu de nationaliser les industries, transports, assurances, commerce des armes de guerre, etc. en contrepartie d’une indemnisation car elle n’est pas une expropriation pure et simple. Ces propos préparent ce qui va se produire en 1936 avec la victoire du Front populaire, qui n’est pas une victoire du seul Parti socialiste mais doit tenir compte des alliés communistes et surtout radicaux qui ne sont pas sur la même ligne.

Sur le plan des institutions Léon Blum est hostile, en 1935, au projet Tardieu de dissolution automatiquement accordée au gouvernement renversé par la Chambre, qui ne permettrait plus un Parlement libre face à l’exécutif. La démonstration n’est pas pleinement convaincante et Léon Blum n’y reviendra pas après la guerre, lorsque se posera l’élaboration de la Constitution de la IVe République.

Plus importante, la question de conquête ou d’exercice du pouvoir ne sera plus non plus soulevée dans les débats de 1945-1946. Les événements de la décennie suivant 1936 sont passés par là, et Léon Blum s’est longuement interrogé à ce sujet, en particulier lors de sa détention. En 1941, il présente comme une vérité incontestable que « le gouvernement parlementaire n’est pas la forme unique, ni même la forme pure de la démocratie ».

Il incline alors vers les systèmes du type américain ou helvétique, fondés sur la séparation et l’équilibre des pouvoirs, qui substitue « la notion réelle du contrôle à la notion un peu illusoire de la responsabilité ». Il rejette en conséquence la délégation intégrale de la souveraineté populaire à la Chambre élue, qui était le credo absolu avant-guerre.

L’après-guerre

Ce positionnement ne convaincra pas ses amis socialistes en 1945-1946, et Léon Blum devra accepter un projet de Constitution ne comprenant qu’une Chambre qui sera présenté au printemps 1946 par la SFIO et le PCF. Après son rejet par référendum, un second projet, qui sera finalement adopté, réintégrera un Sénat appelé Conseil de la République, avec des pouvoirs limités, et Léon Blum s’y résoudra sans rappeler ses écrits de captivité.

Il insistera, au cours des années 1946-1948 sur la fondation d’une social-démocratie dans un ordre européen (pour lequel il est en avance sur la plupart des hommes politiques de la période) et aussi sur la nécessité de l’éclosion des régions (idée également précoce).

Le marxisme n’est pas oublié, mais ne se traduit plus par l’expropriation du capital. La transformation sociale est devenue « le moyen et la condition de la transformation de la condition humaine ». Il prône une synthèse entre la dialectique marxiste et l’idéalisme jauressien. Le socialisme international doit établir « la justice dans la liberté par la fraternité ».

Il convient d’avoir à l’esprit que ces réflexions sont concomitantes des grands événements d’après-guerre, le début de la Guerre froide et la rupture de la SFIO avec le PC, qui l’amène à participer au gouvernement avec des partis plus à droite, pour défendre la République qui apparaît à plusieurs reprises menacée par des grèves insurrectionnelles. La crispation de la situation politique conduit à un ajustement des idées et Léon Blum en prend acte honnêtement.

Il faut louer les choix de Virgile Cirefice qui résume dans une préface synthétique les cheminements de la pensée d’un homme désintéressé personnellement, mais toujours passionnément intéressé par la marche de la société et du monde.

Raymond Krakovitch
L’ours n°536 juillet-août 2024.

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