Curieuse entité que ce « comité d’entente des écoles d’infirmières ». Ni un centre d’information, ni une organisation syndicale ni un ordre professionnel, c’est effectivement un corps « intermédiaire », dont la création a répondu à une demande venant du terrain. Comme ce livre de commande, décommandé ! (a/s de Christian Chevandier, Comité d’entente des écoles d’infirmières (1949-2019). Un corps intermédiaire dans la formation professionnelle, Presse universitaires de Rouen et du Havre, 2021, 180p, 17€)
Évidemment, on ne peut retracer l’histoire de ce comité sans se référer à l’histoire de la profession d’infirmière elle-même, dont l’existence est finalement assez récente.
Une histoire récente
L’hôpital – comme l’hospice – n’a longtemps recueilli que les indigents ou les infirmes, pour les héberger plutôt que pour leur dispenser des soins. Les religieuses étaient à l’œuvre sous la responsabilité de l’Église, avant que les municipalités, après la Révolution, ne se chargent de la gestion des établissements hospitaliers. Dès lors, la fonction d’assistance fit place à une focalisation sur les soins. Mais, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la profession d’infirmière ne nécessita aucune qualification. C’est entre 1880 et 1910 que se mettent vraiment en place les formations. Le ministère Combes jeta les bases de l’édifice et, en 1907, s’ouvrit la première école d’infirmière, proposant deux ans de formation à partir de cours magistraux donnés par des médecins et des travaux pratiques encadrés par des infirmières monitrices.
Dès lors, les associations se multiplient et, en 1949, à côté de l’Association nationale des infirmières diplômées de l’État français, apparaît une sorte de « petite sœur », le comité d’entente des infirmières. Elle naît à un moment où le monde de la santé a beaucoup bougé et où la création de la Sécurité sociale vient de bousculer la donne. Le comité d’entente, animé par les directrices d’écoles d’infirmières, est tourné dès le départ vers la formation professionnelle. Sous son égide, se tiennent chaque année à Sèvres des journées d’études qui bénéficient des interventions d’éminents spécialistes des sciences médicales et sociales, mais aussi de psychologie voire de littérature.
Qualité des formations
Concernant la profession, le comité a des axes bien affirmés, notamment la volonté de maintenir la dualité infirmière/aide soignante. C’est en gardant une conception exigeante de la qualité des formations que le statut d’infirmière pourra être confirmé et revalorisé. L’accent doit donc être également mis sur la culture générale. Le comité d’entente soulignera l’importance des progrès technologiques – qui permettent, par exemple, de dispenser les infirmières des longues tâches sans intérêt que leur imposait la stérilisation manuelle du matériel.
Mais, à partir de 1960, on va commencer à beaucoup parler de la pénurie d’infirmières. En mai 68, les infirmières, qui se sont longtemps tenues à l’écart des revendications, rejoignent le personnel d’encadrement dans les demandes d’amélioration, ce qui permet d’atteindre plusieurs objectifs. Ainsi, on crée la fonction de conseillère pédagogique. La formation initiale est élargie, et porte à la fois sur la santé, la prévention et les soins. La durée de formation sera désormais de 28 mois, et le parc des écoles d’infirmières triple en dix ans.
Infirmières en lutte
À partir de la fin des années 70, les questions budgétaires s’alourdissent. On ferme des écoles, les conditions de travail se dégradent. Le décret Barzach, en 1987 met le feu aux poudres. En septembre 1988, les trois-quarts des infirmières sont en grève. Grâce à leurs luttes, elles seront les seules dans la Fonction publique à avoir vu leur pouvoir d’achat augmenter entre 1985 et 2000. Notons que le Comité aura toujours une certaine méfiance vis-à -vis des syndicats, craignant toujours que les luttes ne soient politiquement instruÂmentalisées. Aussi, préfère-t-il s’impliÂquer lui-même dans des tâches d’ordre syndical, en intervenant fréquemment sur la défense des cas individuels ou sur le montant des primes.
1995 est une année charnière, avec la création du diplôme des cadres de santé, regroupant 14 professions du secteur « paramédical ».
L’évolution se poursuit – et s’accélère. En 2006, création d’un ordre national infirmier, parallèle à l’ordre des médecins. Et deux traits s’accentuent. D’abord, une relative progression de la mixité. En 2014, la profession compte 16,3 % d’hommes. Et la corporation s’ouvre davantage sur l’international, ce que traduit la reconnaissance d’équivalences avec certains pays. Surtout, le processus d’universitarisation se déroule progressivement. En 1977, Paris XIII ouvre un DEUG de diplôme d’État d’infirmier et, en 1995, intervient un partenariat avec les universités concernant deux licences : sciences sanitaires et sociales et sciences de l’éducation. En principe, le processus doit être opérationnel sur l’ensemble du territoire.
Une note surprenante pour finir. L’ouvrage a été rédigé par Christian Chevandier, à la demande du comité lui-même à l’occasion de son 70e anniversaire. Mais, à l’arrivée, le bureau du Comité a fait savoir à l’auteur que sa production ne correspondait pas pleinement à la demande, car il parlait trop du métier d’infirmière et pas assez du comité lui-même. Christian Chevandier est un professeur émérite d’histoire contemporaine. Il a publié de nombreux ouvrages sur le monde hospitalier qu’il connaît d’autant mieux qu’il fut lui-même infirmier. Son livre est très intéressant. Décidément, nul n’est prophète en son pays…
Claude Dupont