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Les migrants et la ville, par JEAN-FREDERIC DESAIX

L’enjeu des flux migratoires dépasse le cadre de la solidarité, il relève désormais de notre capacité à « faire société ». A propos de l’ouvrage dirigé parCyrille Hanappe (dir.), La ville accueillante. Accueillir à Grande-Synthe. Questions théoriques et pratiques sur les exilés, l’architecture et la ville, Éditions du PUCA (Plan urbanisme construction et architecture) CEREMA, Col. Recherche, 2018, 517p, 15€)
Article paru dans L’OURS 483, décembre 2018, page 3.Avant de lire cet ouvrage, il faut avoir en tête un constat qui ne relève pas d’une posture idéologique ou d’une vision alarmiste de la situation : qu’ils soient d’origine économique, politique ou climatique, les mouvements migratoires ne s’arrêteront pas. La situation n’est pas conjoncturelle, elle est bien structurelle !

Faire face à l’urgence
Visibles ou invisibles, les flux migratoires ne cessent de s’amplifier, incitant les pays à organiser l’accueil de ces populations… ou au contraire à ne rien faire, quitte à les rejeter loin de nos frontières et de nos regards. Bien évidement, le traitement des conséquences de flux migratoires croissants ne doit pas nous empêcher d’en percevoir les causes économiques, politiques et historiques. Néanmoins, à l’heure actuelle, ce sont les villes, les associations et la société civile qui se retrouvent confrontées à l’urgence d’un flux de populations désœuvrées, obligées de quitter leur maison, perdues dans l’espoir d’un ailleurs instable.

Cette urgence est aussi une source d’épuisement pour les maires parfois pris entre le « marteau » de la solidarité et « l’enclume » de leur électorat. Épuisement, voire démotivation, pour les agents du service public local ou les associations, qui manquent de temps et de moyens. Le relais de la « société civile », à travers des initiatives diverses et diffuses, est quant à lui source de tensions avec les pouvoirs publics. Toute initiative peut aussi être récupérée et subir la manipulation des mouvements ou réseaux populistes… d’autant plus que la « crainte du migrant » traverse toutes les catégories sociales, y compris à gauche.

Les limites de l’urgence
Cette urgence est gangrenée par l’affrontement continu, légal, financier et politique entre l’État, qui ne prend pas ses responsabilités et les villes qui colmatent les brèches et tentent d’apporter des réponses qui restent transitoires. C’est le cas à Paris, à Nantes ou à Lyon. Nous atteignons les limites de nos systèmes d’accueils : limites financière, foncières, juridiques, politiques etc.
Partant de ce constat, l’architecte Cyrille Hanappe et l’ensemble des contributeurs de l’ouvrage (représentants associatifs, militants, élus, architectes, urbanistes, universitaires) ouvrent de nouvelles perspectives qui interrogent notre manière de vivre ensemble. Comment faire œuvre de d’hospitalité et de pédagogie ? Comment coordonnés localement l’action publique et associative ? Comment s’autoriser à expérimenter de nouvelles formes d’accueil ?… Et surtout : qu’est-ce que « accueillir » veut dire ? Car la question n’est plus de savoir « pourquoi accueillir ? » mais « comment accueillir ? » ! C’est une question de dignité humaine et de capacité de notre société à changer de paradigme.

Grandeur et limite d’une expérience : le camp de la Lignière
L’expérience du Camp de la Lignière à Grande Synthe entre 2015 et 2017 a cristallisé les oppositions. C’est donc un objet d’étude idéal. Il est « décortiqué » à travers les acteurs, les initiatives, les réactions, les retours d’expé­riences, tant du point de vue des associations que des élus, des habitants, des urbanistes, des ingénieurs. Tous ont participé à la création d’un quartier de 1 700 migrants dans une ville qui compte 20 000 habitants. On en perçoit les succès mais aussi les limites. On retient aussi que beaucoup d’initiatives sont prises par les communes en faveur des migrants. Elles sont diverses et ne peuvent s’apprécier qu’au cas par cas. Chacune s’organise en fonction de ses moyens et aussi en fonction de la forme des flux. Certaines villes, notamment dans le Nord de la France, ne sont qu’une halte, alors que d’autres sont la fin d’un parcours et le début de celui de l’intégration.

Quoi qu’il en soit, la construction de « camps » reste fragile, d’autant que « la terminologie prête à confusion et peut être source de mésentente sur leur vocation ».

Accueillir au-delà de l’urgence : une nouvelle éthique de l’espace urbain

Le risque est de figer la question des migrants dans un statut en oubliant que l’hébergement est une condition d’existence. L’ouvrage nous invite à distinguer ce qui relève du statut des migrants et ce qui relève des conditions pour avoir accès à la ville. Cela passe par la mise en œuvre d’un véritable « droit (institué) à la ville. Plus que l’habitat, c’est l’habité qui compte ! » Il faut aider les migrants à habiter le territoire. « Cela ne peut pas être seulement des “cases” ! Ce n’est pas juste “les mettre à l’abri”, mais aussi les accompagner vers l’autonomie. »

En s’appuyant sur des expériences architecturales, l’ouvrage dresse différents scénarii pour « accueillir et continuer de “faire société” » par la construction de nouvelles formes urbaines. Les auteurs n’oublient pas de relever les écueils de la « ville accueillante » : « une vision temporaire et transitoire ou une absence de concertation citoyenne peuvent rendre tout projet contre-productif ! »

Bref, l’œuvre est collective et les migrants sont partie prenante de l’enjeu. Parce que, comme le souligne Michel Lussault, il ne s’agit pas de reconstruire la ville mais de construire une « nouvelle éthique de l’espace urbain »… Ce livre ouvre une autre perspective sur la ville, sur son rôle et peut être sur son avenir.

Jean-Frédéric Desaix

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