AccueilActualitéLes mineurs, du mythe à l’histoire, par Eric Lafon

Les mineurs, du mythe à l’histoire, par Eric Lafon

La mine, les mineurs, les paysages miniers, le travail au fond du puit, ce sont pour chacun d’entre nous des représentations, un imaginaire collectif, des souvenirs de lectures, de films, et depuis 1982, une chanson, Les Corons, interprétée par Pierre Bachelet. C’est aussi de nombreux ouvrages d’histoire, de sociologie, d’économie, et des mémoires militantes. Dorénavant il faudra ajouter l’ouvrage de Marion Fontaine consacré à Liévin, 1974. À propos du livre de Marion Fontaine, Fin d’un monde ouvrier, Liévin 1974, EHESS, 2014, 236 p, 16€
Article paru dans L’OURS n°446, mars 2015, page 1


L’auteure, historienne, maître de conférences à l’univer­sité d’Avignon, que l’on a vu sous de nombreux fronts jaurésiens l’année dernière, connaît bien le Nord, son histoire, ouvrière, sociale et sportive. Elle a soutenu en 2006 une thèse sur « Les “Gueules noires” et leur club : sport, socia­bilités et politique à “Lens les Mines” (1934-1956) »(1). Elle connaît donc bien ce monde « mythique » qu’est celui de la mine et des mineurs, ces « Gueules noires » dessinées, peintes, photographiées, filmées, sculptées, et même pour certains d’entre nous, et pour Marion Fontaine, aussi rencontrées et écoutées.

La catastrophe
L’historienne s’est intéressée cette fois à l’un des aspects indéfectiblement lié au monde de la mine qu’est l’accident, le « coup de grisou », ici le « coup de poussier », la catastrophe. Il s’agit d’un retour sur un événement : la mort, le 27 décembre 1974, de 42 mineurs à Liévin, dans le quartier des Six-Sillons, à la fosse 3 bis. Une précision dans le lieu pour saluer tout d’abord ce travail d’orfèvre effectué par Marion Fontaine. De la première page à la conclusion du livre, on peut se demander quelle question l’auteure aurait oublié de traiter. Aucune probablement. Du traitement mémoriel, aux retours sur toutes les enquêtes diligentées par différents protagonistes à savoir la direction des Houillères, les syndicats, des avocats, des comités techniques constitués y compris par des experts internationaux, de l’analyse du discours et des représentations produits par les gauches, le mouvement ouvrier, les partis et syndicats, l’État, les médias, la culture, les veuves et leur association, de 1974 à 1984, Marion Fontaine entraîne le lecteur dans son approche, ses questionnements, ses réponses, sur l’événement et ses conséquences. En moins de 250 pages, elle nous plonge dans une histoire oubliée et nous invite avec elle à détruire mythes et légendes, à se méfier autant des commémorations officielles toujours trop lisses que des panégyriques misérabilistes produits par des courants du mouvement ouvrier, à rejeter les conclusions trop rapides. Marion Fontaine sans hésitation souligne, en historienne, l’indif­férence ou le mépris que nous pourrions nous-mêmes manifester.

Une catastrophe parmi d’autres
Liévin et sa catastrophe oubliée, parce que Courrières fut plus terrible encore le 10 mars 1906 avec ses 1099 morts. Liévin, fin d’un monde ouvrier où un PCF et une CGT hégémoniques ont contribué à nourrir le mythe du mineur stakha­noviste dont Thorez exige à la Libération tous les efforts aux risques de mourir. Un monde ouvrier partagé entre un socialisme fortement implanté aussi et une extrême gauche et un syndicalisme nouveau, celui de la CFDT. Liévin et son paternalisme patronal mêlant aide et secours et la plus grande froideur qu’exige la rentabilité du capital. Liévin et ses 42 morts qui attirent la télévision et la radio dont les archives ont été très sollicitées par Marion Fontaine. Liévin et l’année 1974 avec une gauche PS-PC-Radicaux partenaires d’une Union de la gauche qui parle d’un monde ouvrier qui est, à Lievin mais comme partout ailleurs aussi, en voie de disparition. Liévin, une histoire, une ville, un pays, sa population, ses travailleurs que l’on avait effectivement oublié.
Marion Fontaine nous invite à nous rappeler, et peut-être pour beaucoup de nos lectrices et lecteurs, à découvrir un événement, et ce qui est à nos yeux le principal du métier d’historien, de passer du mythe à l’Histoire.
Éric Lafon

(1) Une version remaniée de cette thèse a été publiée en 2010 sous le titre Le Racing Club de Lens et les « Gueules noires », essai d’histoire sociale, préface de Christophe Prochasson, Les Indes savantes, 2010, 292 p. Voir L’OURS n°409.

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