Histoire de l’architecture, certes, mais aussi et surtout place des Sorbonne dans le paysage urbain et intellectuel, tel est le propos de cet ouvrage.
A propos du livre de Christian Hottin, Les Sorbonne. Figures de l’architecture universitaire à Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, 366p, 40€
Article paru dans L’OURS 454, janvier 2015, page 8
Cet ouvrage est l’œuvre d’un archiviste paléographe, conservateur en chef du patrimoine, enseignant et qui a beaucoup publié sur le patrimoine universitaire. C’est dire s’il connaît son affaire et puise aux meilleures sources pour présenter ce qui est une véritable histoire patrimoniale et intellectuelle de la Sorbonne.
Les trois Sorbonne
En réalité, il nous donne à voir les trois Sorbonne qui se sont succédé et ont occupé, au cours des siècles, un espace de plus en plus vaste. Ces bâtiments construits et reconstruits successivement ont redessiné la trame d’un quartier, réorganisé la voirie. Ces bâtiments se sont heurtés à des contraintes financières et matérielles (absorption progressive du parÂcelÂlaire, achat de bâtiments). Il a fallu en permanence concilier deux impératifs contraÂÂdictoires : maintenir les traditions, ouvrir à la modernité. D’où la tentation sans cesse répétée de tout raser – et ce sera presque toujours le cas – et de partir ailleurs – ce qui ne se fera pas.
Reste que c’est la manière dont on habite le bâtiment qui en fonde l’architecture, en oriente la signification. Car la Sorbonne n’est pas uniquement un bâtiment universitaire, c’est aussi un lieu de pouvoir : le rectorat de Paris y est installé. La Sorbonne, c’est aussi un lieu où se donnent à voir les grands événements universitaires : remise des prix du concours général dans le grand amphithéâtre, en présence du ministre, oraux des concours d’agrégation.
La Sorbonne actuelle, éclatée en plusieurs universités qui tentent plus ou moins de se rassembler en divers projets, est la superposition de trois édifices différents. Du premier, celui de Robert de Sorbon, il ne reste rien, sinon le tracé dans la cour d’honneur des fondations de l’ancien chapelle médiévale. Cette chapelle était le centre de la faculté de théologie, à côté des collèges qui accueilÂlaient les étudiants (sorte de pensionnats), et des nations – au nombre de quatre – qui réunissaient les groupes linguistiques des maîtres et étudiants. La Sorbonne, comme en Espagne ou ailleurs, c’est une communauté d’intérêts unissant maîtres et élèves et se dressant contre les pouvoirs civils et religieux si nécessaires. Elle est entourée de nombreux collèges dont le plus beau témoignage architectural est celui des Bernardins ou la chapelle du collège de Beauvais. La Sorbonne c’est d’abord une cour centrale, une chapelle, une bibliothèque, des salles de cours et un réfectoire.
Une seconde Sorbonne est née au début du XVIIe siècle : c’est celle de Richelieu. Il a fait table rase du passé, a reconstruit entièrement les bâtiments qui subsisteront jusqu’à la fin du XIXe siècle, a organisé la prééminence de la première des facultés – celle de théologie – dont la chapelle dresse son dôme orgueilleux sur l’ensemble du quartier et en change ainsi la physionomie. Cette chapelle sera son tombeau : aujourd’hui encore, des reliques de son corps y sont enterrées. Théologie et lettres se côtoient dans cet ensemble, à l’extérieur de la Sorbonne on trouve médecine, chirurgie et droit.
1793 sonne le glas de l’institution : la Sorbonne est dissoute, ses biens mis en vente, mais la vente ne se réalisera pas ce qui laissera le patrimoine architectural presque intact. Des projets sont montés qui n’aboutiront pas : transformation de la chapelle en amphithéâtre pour l’École Normale, musée des artistes, projet de délocalisation au champ de Mars juste à côté de la cité des archives. De tout cela il n’y aura que des fondations. En 1821, la Sorbonne retrouve ses fonctions d’enseignement. Le retour du mausolée de Richelieu trace le lien avec le passé, tandis que se développe dans des conditions difficiles, faute de place, la faculté des lettres, sciences et théologie.
La troisième Sorbonne naît en 1885. C’est la fin de la faculté de théologie, le début de la construction du nouveau bâtiment sous l’égide de l’architecte Henri-Paul Nénot. C’est aussi la naissance d’une nouvelle organisation universitaire empruntée au modèle allemand : sciences et lettres disposent désormais de laboratoires, de salle de séminaires de recherche – d’un côté on a les paillasses, de l’autre les bibliothèques. Et l’on constate qu’il y a un véritable mouvement national de reconstruction des universités : à Lille, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Alger. Les temples du savoir littéraire et scientifique vont apporter la lumière de la connaissance rationnelle. À la Sorbonne, lettres et sciences s’équilibrent dans un subtil mélange d’amphiÂthéâtres, de musées (minéralogie, moulage) et de lieux prestigieux (salle des actes, grands amphithéâtres, fresque de Puvis de Chavannes, sculptures allégoriques).
Image de marque
Les années 1970 signent la fin de cette troisième Sorbonne. Et des constructions sont faites, mais en dehors des lieux historiques : la Sorbonne est désormais éclatée en de multiples universités, elle est devenue une marque que l’on achète ! Mais, cette fois, signe des temps, le bâtiment n’a pas été détruit : il est devenu un patrimoine.
Bref, un livre dont on ne peut que recommander la lecture, très lisible, qui ne renonce pas pour autant à l’érudition scientifique, qui appuie son propos sur de multiples documents : ils aident à la compréhension et ponctuent l’analyse. Du bel ouvrage, original et novateur et qui tente de penser l’idée d’université en France.
Bruno Poucet