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Les sorcières déconstruites, par AMANDINE TABUTAUD

L’autrice interroge dans une perspective historique le surgissement, la construction, la circulation et le renouveau de la figure de la sorcière depuis ses origines jusqu’au très contemporain. En s’adressant directement aux jeunes femmes, l’historienne ambitionne de faire une histoire des sorcières non fantasmée pour les petites filles, entrant ainsi en résonance avec le slogan : « Nous sommes les petites filles de toutes les sorcières que vous n’avez pas brûlées ».

À sa lecture, les jeunes féministes et les autres découvriront les conditions de naissance de la figure de la sorcière et du sorcier. Au XVe siècle, l’Église catholique, alors en proie aux critiques menaçant son unité, engage l’évangélisation des campagnes et met en place un appareil judiciaire répressif autour de juges spécialisés dans les affaires dites de sorcellerie. Le développement des rituels sabbatiques produit « progressivement un discours misogyne, associant la femme, épouse de Satan, à une figure diabolique ». L’image de la sorcière sur un balai s’élabore au même moment. Cet objet, symbole de la domination masculine, se trouve confisqué et détourné par les femmes, et « tel un homme à cheval, elles le chevauchent en inversant les rôles », créant ainsi le désordre. Le sabbat, en devenant une affaire de femme, contribue à l’effacement de la figure du sorcier. Lorsque deux inquisiteurs, Henry Institutions et Jacques Sprenger publient Le Marteau des sorcières en 1486, « un vrai tournant du point de vue de l’histoire du genre des persécutions » s’opère.

Le mythe de la sorcière connait une nouvelle vie au XIXe siècle et s’incarne selon l’historien Jules Michelet dans la figure de la femme rebelle, puissante et contestataire, quand elle est héroïsée sous la plume des Romantiques, ou encore apparait sous les traits de la Petite Fadette chez George Sand dans le pays berrichon rouge où les superstitions s’effacent dans ces temps de modernisation des campagnes. On retrouve l’image de la sorcière accolée aux pétroleuses de la Commune qui transgressent les normes sociales, ne se conformant pas à leur rôle de mère ou d’épouse, puisqu’elles portent des armes et combattent, parfois représentées dans la presse sous les traits « de mégères échevelées et en sorcières ». À ces caractéristiques, le XIXe siècle convoque aussi la pathologie, l’hystérie faisant ainsi de la sorcière une femme souffrant d’une maladie mentale, incontrôlable et inquiétante.

Le retour du mythe de la sorcière dans la seconde moitié du XXe siècle s’inscrit dans l’élaboration d’une histoire féministe transnationale. Michelle Zancarini-Fournel rappelle qu’un groupe étasunien, Witch, se réclamant des sorcières en puissance dans leur manifeste en 1968, essaime en Europe – en Italie notamment. La femme sorcière apparait comme la victime du patriarcat et l’icône du matérialisme historique. « Les mots féministes et sorcières sont dès lors devenus des synonymes ».

La force de cet essai réside dans la démarche de Michelle Zancarini-Fournel qui réussit, en mobilisant une historiographie foisonnante, à déconstruire le mythe de la femme sorcière, tout en écrivant dans le même temps, une histoire des sorcières et des sorciers. En cela, elle fait œuvre d’historienne, se distinguant ainsi de la littérature récente au succès incontestable. Ainsi, elle démontre de quelle manière les récits de Mona Chollet et de Silvia Federici constituent une « forme d’histoire contrefactuelle », puisqu’ils véhiculent des thèses farfelues autour des estimations chiffrées des exécutions faisant preuve de « négation confirmée » de l’histoire.

Si aujourd’hui la sorcière apparait sous les traits d’une femme puissante qui incarnerait l’ensemble des problématiques traversées par les femmes, cet essai invite à redonner toute sa place à l’historicité des sorcières.

Amandine Tabutaud
L’ours 539, janvier-février 2025

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