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L’intégration et ses réussites, par CHRISTIAN CHEVANDIER

« On a fait un couscous familial, vous savez, le couscous un peu à la fin d’Astérix, le grand banquet. » Ce verbatim extrait d’un entretien qu’il a mené avec une jeune femme, dont les parents étaient arrivés du Maghreb, qui explique comment elle a fait accepter par sa famille un mari d’une autre origine est pour le moins significatif du questionnement d’Arnaud Lacheret – presque déjà de ses réponses. (a/s de Arnaud Lacheret, Les intégrés. Réussites de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine, préface de Gérald Bronner, Lormont, Jean Jaurès, Le Bord de l’eau, 2023, 202p, 18€)

Ces problématiques, il les a soumises depuis le début de recherches sur lesquelles il revient pour cet ouvrage dans lequel il n’hésite pas à écrire parfois à la première personne du singulier. Tiré d’un exercice académique, sa lecture en est pourtant agréable. « Depuis que j’ai embrassé le métier de chercheur en sciences sociales, mes travaux ont pris leurs racines dans le terrain, en faisant de nombreux allers et retours entre l’empirique et le théorique » explique-t-il en caractérisant sa démarche de recherche « par le bricolage et l’étonnement ». Il revient ici sur des travaux antérieurs et les met en perspective avec une nouvelle recherche, disposant d’un corpus de 70 entretiens d’entrepreneurs et de « managers » de religion musulmane et de culture arabe, femmes du Golfe (20), pour lesquelles une carrière de cadre a longtemps été peu envisageable1 et fils (26) ou filles (24) d’immigrés d’Afrique du Nord, tous ayant dû accomplir un parcours d’intégration. Ces récits montrent que l’islam ne semble pas incompatible avec notre conception de l’intégration. Les passages sur la religion, pour l’évocation desquels la place manque ici, permettent de se rendre à compte à quel point la dimension culturelle et rituelle prévaut largement sur la spiritualité.

Rattrapage
Se penchant sur les données de l’INED qui concernent en 2010 les enfants de parents originaires du Maghreb, souvent peu diplômés voire – surtout dans le cas des mères – analphabètes, il constate un « saut générationnel […] spectaculaire ». Si l’on s’en tient au taux de diplômés du supérieur en le comparant avec la « population majoritaire française », le rattrapage est quasiment achevé pour les descendants des Marocains et des Tunisiens et en cours pour ceux des Algériens ; dans tous les cas la réussite des femmes est plus significative. Et à l’observation des catégories socioprofessionnelles, force est de constater que la dynamique est similaire, y compris lorsque l’on prend en compte les Italiens, les Espagnols, les Portugais : « On constate qu’il n’y a pas un écart significatif entre des populations socialement identiques à leur arrivée en France, qu’elles soient européennes ou nord-africaines, en matière d’ascension sociale. »

Particulièrement intéressants sont les passages sur les rapports entretenus avec la police, pour laquelle l’idée de confrontation systématique n’apparaît pas lors des entretiens et est d’abord l’objet d’un déni, un peu comme lorsqu’est évoquée la question des discriminations. Quand le chercheur insiste, peuvent revenir des souvenirs de situations ressenties comme injustes, mais expliquées par la fréquentation de « mauvaises personnes » et la majorité de ces hommes explique que « si l’on a des problèmes avec la police, c’est qu’on les a provoqués ». Nous sommes là loin des conclusions de travaux d’autres sociologues qui remarquent une relation conflictuelle avec les figures d’autorités, celles que Sébastian Roché désigne comme « les agents de première ligne », enseignants et policiers. Rappelons cependant que la population étudiée a connu une trajectoire de très sensible mobilité ascendante.

Infrastructures culturelles
Parmi les résultats les plus significatifs, et sans doute les plus potentiellement utiles, l’auteur a recueilli des témoignages sur l’importance, en province comme dans la région parisienne, des équipements (médiathèque, terrain de sport, lycée) situés dans un autre quartier, qui permettent d’échapper à son milieu, de rencontrer d’autres personnes, de percevoir d’autres possibilités. Dans le cas des hommes, pour lesquels la pratique du sport dans l’adolescence a joué un rôle déterminant pour leur carrière en leur permettant notamment d’être cadrés pendant leur jeunesse, les rencontres à l’extérieur ont aussi permis la confrontation, pas toujours très agréable, avec d’autres milieux construits par d’autre lieux. Ces fils d’immigrés, qui se sont ensuite plus souvent expatriés que les filles, ont été confrontés en Amérique du Nord à des mésaventures (licenciements, problèmes de visas) mais n’en tiennent pas moins des propos élogieux sur le modèle anglo-saxon, renvoyant au tableau bien plus nuancé de Yasmeen Rehman sur le fantasme de sociétés tolérantes et accueillantes. Pour les femmes, le processus de négociation intrafamiliale fut un facteur conséquent du recul des dominations qu’elles ont subies. Et si l’on sait qu’elle se tint entre des filles et leurs pères, communément plus durs voire violents avec leurs fils, l’on pense alors à la très belle chanson d’Idir, « Lettre à ma fille ». Quant au rôle des mères, loin d’être un facteur de progrès, il est essentiel, tandis que l’auteur remarque que celles qui élèvent seules leurs enfants n’ont pas la même approche du respect de la tradition et de la réputation de la famille.

L’expression « intégrés » est une référence, explicite, aux travaux de Dominique Schnapper, tandis que l’auteur se réclame de l’école de Chicago, notamment d’Howard Becker dont la connaissance en France est relativement récente. Préfacé par Gérald Bronner, qui s’est insurgé contre l’expression méprisante et sans grande signification de « transfuge de classe »2, cette approche sociologique non larmoyante des milieux populaires renvoie implicitement à deux beaux récits initiatiques autobiographiques, Le Gône du Chaaba (1986) d’Azouz Begag (né en 1957), après celui de François Cavanna (1923-2014), Les Ritals (1978).

Christian Chevandier
1 – La place manque ici pour revenir sur les itinéraires et discours de ces femmes, étudiés auparavant par Arnaud Lacheret dans La femme est l’avenir du Golfe. Ce que la modernité arabe dit de nous, Le Bord de l’eau, 2020.
2 – Gérald Bronner, Les origines. Pourquoi devient-on qui l’on est ?, Autrement, coll. « Les grands mots », 2023. Compte rendu dans L’ours 530, juillet-août 2023.

Article publié dans L’ours 532, novembre-décembre 2023, page 3.

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