Comme pour la littérature et le cinéma, il existe un théâtre de genre. […]Le théâtre politique, nous l’entendons ici non au sens le plus accompli et le plus universel du théâtre shakespearien, dépassant par sa puissance toute catégorisation, mais en celui, plus restrictif, du théâtre qui met aux prises deux fortes personnalités, voire monstres sacrés, tels jadis Blum et Mandel, ou encore De Gaulle et Churchill (cf. L’OURS, n° 479).
Georges Naudy a cette fois imaginé la teneur de la rencontre entre Mitterrand et Rocard, rue de Bièvre, peu avant les déclarations de candidature pour la présidentielle de 1981. Tous les ingrédients d’un spectacle intellectuellement excitant et plaisant, sur la base d’une situation historique, sont réunis : véracité, à défaut de vérité exacte (évidemment non revendiquée), joute fondée sur des arguments où l’on reconnaît les positions réciproques des deux protagonistes, le tout parsemé de bons mots qui ne manquent pas de faire constamment sourire, le plus souvent placés dans la bouche de Mitterrand.
Le metteur en scène Eric Cyvanian a opté pour un dispositif simple, bureau, fauteuils, canapé, la trouvaille étant l’immense bibliothèque stylisée montant jusqu’aux cintres, réaffirmant la dilection de François Mitterrand pour les livres, leitmotiv qui parcourt toute la représentation. Pour camper deux hommes politiques, nul besoin d’une ressemblance trait pour trait (souvent contre-productive) : par un habile silhouettage, les excellents Philippe Magnan et Cyrille Eldin nous convainquent tout à fait d’une incarnation de Mitterrand pour le premier, de Rocard pour le second. Si l’auteur ne prend pas position (à juste titre du point de vue de l’action dramatique) entre les choix économiques, assez bien restitués, qui opposent l’un et l’autre, il nous a néanmoins semblé que le beau rôle est le plus souvent donné à Mitterrand au détriment de Rocard. Par les bons mots d’abord, par la présentation de Rocard en petit garçon devant le Commandeur ensuite, par l’étonnante (et pas la moins intéressante, théâtralement parlant) séance de psychanalyse de l’impétrant par le premier secrétaire enfin. Bref, un spectacle avec ses limites, mais fort stimulant, qui – selon les options de chacun – fera réagir.
André Robert
[Extrait de la chronique théâtre d’ANDRÉ ROBERT (« Sexe et polique, Struggle for life ») à paraître dans L’OURS 496 (mars 2020)]
Théâtre de l’Atelier : http://www.theatre-atelier.com/l-opposition-mitterand-vs-rocard-lo2842.html