Il n’est pas nécessaire de présenter l’historienne admirable qu’est Michelle Perrot. (a/s de Michelle Perrot avec Eduardo Castillo, Le temps des féminismes, Grasset, 2023, 199p, 20
En 2019, les éditions Robert Laffont avaient eu l’excellente idée de publier, sous le titre Le chemin des femmes, une partie de l’œuvre de Michelle Perrot dans un volume de la collection Bouquins, préfacé par Josyane Savigneau. On y trouvait notamment d’importants extraits de sa thèse sur la naissance de la grève ou encore Mélancolie ouvrière à propos de Lucie Baud, ouvrière tisseuse en soierie et syndicaliste. Michelle Perrot dans Le temps des féminismes entrecroise l’histoire du temps présent et celle de plus longue durée, le militantisme féministe et ses propres engagements, les évolutions de la société et les rapports femmes-hommes. L’ouvrage est d’une grande clarté, servie par une langue fluide, très belle et très sûre. Il doit beaucoup à Eduardo Castillo qui en a suggéré l’idée à Michelle Perrot, qui l’a interrogé une trentaine d’heures durant toute une année, et qui a eu la délicatesse rare de ne laisser paraître que les réponses de l’historienne.
Une histoire des féminismes
Le premier mérite du livre est de rappeler de manière efficace les grandes séquences du féminisme contemporain. Le temps des figures isolées ou des groupes épars au XIXe siècle qui, dans la filiation de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne Olympe de Gouges (1791), revendiquent l’égalité de droits en matière politique. La révolution de 1848 est un temps fort de cette revendication. On sait combien le chemin fut long avant le droit de vote pour les femmes (1944). Michelle Perrot rappelle que certains hommes, tel Léon Blum, se sont engagés précocement pour les droits politiques des femmes. Le socialiste a ainsi nommé en 1936 trois femmes dans son gouvernement, tandis qu’elles n’avaient pas le droit de suffrage. Déjà avant 1914, il avait publié un ouvrage contre le mariage et pour l’union libre dans une perspective d’égalité au sein du couple.
La séquence qui s’ouvre en 1949 avec la publication du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, s’amplifie avec les années 1960-1980 posant les revendications, non plus seulement en termes d’égalité civique, mais d’égalité totale et de liberté et de maitrise de leur corps par les femmes. L’élan autour de #Meetoo à partir de 2017 (même si le # existe depuis 2007) signale que la société a évolué, tout en bousculant celle-ci afin que les violences faites aux femmes ne restent plus, ni tues, ni impunies. En la matière, il reste à agir avec plus de résolution encore.
L’histoire des femmes
Michelle Perrot a, parmi d’autres, contribuée à sortir les femmes de l’invisibilisation dans laquelle le récit historique les murait. En 1973-74, Michelle Perrot, Fabienne Bock et Pauline Schmidt intitulaient leur séminaire « Les femmes ont-elles une histoire ? » Suivront en 1984 « Une histoire des femmes est-elle possible ? » et en 1998 « L’histoire sans les femmes est-elle possible ? », autant d’intitulés qui disent le chemin parcouru. C’est le propre du travail des historiens que de procéder par questions. La problématisation permet de sortir les sources de l’ombre. Les femmes sont dans l’histoire. Ecrire l’histoire aujourd’hui, c’est écrire une histoire mixte (cf. le manuel à destination de l’enseignement scolaire publié en 2010 par l’association Mnémosyne et par Belin). Et c’est au travail d’historiennes comme Michelle Perrot, Françoise Thébaud et tant d’autres (des historiens également) que l’historiographie et la pédagogie le doivent.
Une histoire des hommes
On ne naît pas homme, on le devient. La construction des genres est désormais au cœur des réflexions. Si les femmes ont longtemps été assignées à des positions, des fonctions et des rôles prédéterminés, les attentes envers les hommes (la virilité du « mâle dominant », la bravoure du guerrier, etc.) sont tout autant des constructions sociales que les études sur la masculinité viennent interroger. Il n’en reste pas moins que cette construction-là a contribué fort longtemps à la domination des hommes sur les femmes. Michelle Perrot s’interroge en conclusion sur le mal-être actuel des hommes (certains l’expriment…) qui se voient dépossédés de leurs prérogatives. Même si on comprend qu’il s’agit pour l’historienne de mettre en perspective les bouleversements qui ont affecté en quelques décennies les rapports hommes-femmes, on aurait envie de dire aux hommes qui perdent ainsi pied (jusqu’à , pour certains, se réfugier dans l’expression politique la plus réactionnaire et la plus vile – suivez mon Z.) : pauvres chouchous !
Florent Le Bot
Article publié dans L’ours 526, mars 2023