AccueilActualitéObjectif zéro chômeur : bilan d’étape, par MICHEL DREYFUS

Objectif zéro chômeur : bilan d’étape, par MICHEL DREYFUS

Depuis deux ans, une expérience inédite menée sur 10 territoires par l’association ATD Quart monde avec des élus locaux, cherche à financer des emplois nouveaux et pérennes pour les chômeurs de longue durée en lançant des initiatives économiques locales non concurrentielles. Comment ça marche ?
À propos du livre de Claire Hédon, Didier Goubert, Daniel Le Guillou, Zéro chômeur : dix territoires relèvent le défi, ATD Quart Monde / Éditions de l’Atelier, 2019, 320p, 16€. Article paru dans L’OURS n°489, juin 2019.Le chômage de masse est un fléau économique et social depuis quatre décennies. Au milieu des années 1970 il y avait 1 million de chômeurs, ils sont 2 400 000 aujourd’hui. À ce chiffre s’ajoute une progression spectaculaire du travail à temps partiel et donc de la précarité, qui touchait 4,2 millions de personnes en 2011, dont 80 % de femmes. En dépit d’un recul parfois important, notamment durant les années 1997-2002, le chômage continue de frapper durement notre pays. Et pas seulement le notre. Cette situation s’est encore aggravée depuis la crise de 2007. Les quelques progrès réalisés ces deux dernières années restent très limités puisque le taux de non emploi est aujourd’hui en France de 27,2 %, un tout petit peu moins qu’en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Le chômage coûte très cher à la collectivité : en France, l’équivalent de 45 milliards d’euros en 1993 et 122 milliards d’euros en 1995 ont cherché à favoriser la création d’emplois. Mais la relance par les solutions keynésiennes, suivies à partir des années 1930, ne fonctionne plus. D’autres solutions ont été expérimentées : stimulation de la croissance, baisse des charges patronales, réduction du temps de travail, flexibilité ; mais le tout sans grands résultats. Enfin, loin d’avoir une dimension seulement économique, le chômage entraîne aussi une exclusion sociale qui frappe tout particulièrement les personnes âgées, les femmes, les jeunes. Cette exclusion est source de graves difficultés sur les plans physique et psychique.

Expérimentation : les entreprises à but d’emploi
C’est en partant de tous ces constats que le projet Territoire zéro chômeur a été pensé depuis le début des années 2010. Il a d’abord été impulsé par l’Association ATD Quart Monde, pionnière dans le domaine de l’insertion par l’activité économique depuis la décennie 1970-1980. Ce projet a été bientôt soutenu par le député socialiste Laurent Grandguillaume puis il est parvenu à obtenir l’appui de tous les partis politiques. En 2016, est votée à l’unanimité une loi qui va être expérimentée sur dix territoires : cinq territoires ruraux, un territoire urbain comprenant un quartier prioritaire de la ville (QPV) et quatre territoires urbains composés uniquement de QPV.

Territoire zéro chômeur repose sur trois notions qui seront mises en œuvre par un comité de pilotage dans lequel siègent tous les acteurs politiques et sociaux du territoires : partis, syndicats, associations, entreprises, Chambres de commerce, municipalités, etc. Le projet est mis en œuvre et suivi par tous ceux qui agissent dans le territoire. Tout d’abord, sont créés sur ces territoires des entreprises à but d’emploi (EBE) qui proposent un contrat à durée indéterminé (CDI) à temps plein choisi, à toutes les personnes privées durablement d’emploi : et non un contrat à durée déterminée (CDD) parce qu’un CDI offre une sécurité fondamentale à la personne. Ces entreprises à but d’emploi mèneront des activités spécifiques qui ne doivent en aucun cas entrer en concurrence avec les entreprises existantes sur ce territoire. En revanche, les EBE peuvent proposer des activités en complément ou en sous-traitance de ces entreprises, telles que nettoyage de chantiers, tri de métaux pour une entreprise de recyclage, etc. Elles ont également la possibilité de développer le commerce ambulant en partenariat avec des commerces locaux, réaliser de petits travaux administratifs, nettoyer les chemins ou les forêts d’une commune, etc. La relance de l’activité dans des villages où elle a disparu apportera du dynamisme à ces derniers et au territoire : ce renouveau de l’activité économique sera bénéfique à tous.

Reconstruire le lien social
L’entreprise à but d’emploi reconstruit également un lien social très dégradé. Aux antipodes de ceux pour qui les chômeurs sont des « fainéants », des « assistés », etc., ce livre montre à travers de nombreux témoignages très émouvants que les personnes privées d’emploi veulent en retrouver. Cette démarche est capitale pour leur dignité, parce qu’elle les sort de l’exclusion, parce qu’elle change le regard qu’ils portent sur eux-mêmes et que les autres portent sur eux. Ils considèrent d’ailleurs que la mise en place d’un revenu universel de base serait une humiliation, une atteinte à la personne qui ferait d’eux des assistés. Comme le dit un chômeur, « les gens, ils ne veulent pas avoir des suppléments, de l’argent, ils veulent travailler ». Enfin ce projet est financé par deux sources. Tout d’abord, les prestations sociales aux personnes privées d’emploi, telles que revenu de solidarité active, allocations de solidarité spécifique. Territoire zéro chômeur repose également sur les recettes liées aux reprises d’emploi  (cotisations sociales, impôts), et sur le chiffre d’affaires réalisé par les entreprises à but d’emploi. Le coût social d’un chômeur s’élève aujourd’hui 18 000 euros annuels pour la collectivité. Plutôt que de continuer à verser « un pognon de dingue » dans ces aides sociales de toute sorte, ne vaut-il pas mieux créer de nouveaux emplois avec une somme équivalente ? Au départ, l’opération est financièrement neutre pour l’État mais ces nouveaux emplois relancent bientôt le territoire sur le plan économique, car ils favorisent la consommation et les soins.

Ne pas tout attendre de l’État
Territoire zéro chômeur repose d’abord sur la confiance. Mais il est également fort proche par ses principes et par sa mise en œuvre de ceux défendus aujourd’hui par l’économie sociale et solidaire (ESS). Il est peu fait référence à cette dernière dans ce livre, mais comment ne pas relever une telle proximité ? Deux de ces dix entreprises à but d’emploi ont d’ailleurs été crées en Sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC). Territoire zéro chômeur rejoint le monde de l’ESS pour au moins trois raisons. Tout d’abord, il part du territoire, donc « d’en bas », et non de Paris. En d’autres termes, il n’attend pas tout de l’État centralisateur, même si ce dernier lui apporte initialement son appui. Ensuite sa réussite repose sur la prise en main des chômeurs par eux-mêmes de leurs propres affaires. Aucune personne privée d’emploi n’est contrainte d’intégrer une entreprise à but d’emploi : elle doit le faire dans le cadre d’une démarche libre et volontaire. Depuis le XIXe siècle, ces deux notions ont défini et définissent toujours l’adhésion à une coopérative ou à une mutuelle. Enfin, Territoire zéro chômeur cherche à répondre à des besoins nouveaux, notamment écologiques, et pas nécessairement rentables.

Comme le reconnaissent les auteurs du livre, il est encore trop tôt pour tirer un bilan définitif de cette expérience, deux ans seulement après ses débuts. Ses premiers résultats semblent néanmoins très positifs. Prévue au départ pour cinq années, elle doit se prolonger au-delà, en tout cas pour ces dix premiers territoires.

À l’heure où avec le mouvement des Gilets jaunes notre pays connaît une crise sociale grave et inédite, mais dans laquelle le chômage n’est jamais évoqué, ce livre donne quelques raisons d’espérer.

Michel Dreyfus

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