Christophe Aguiton, militant syndical et associatif, entend définir ce qu’est la gauche du 21e siècle et ce qu’elle doit être. Militant internationaliste – il a été un des fondateurs d’ATTAC – il tente de donner un panorama mondial pour voir les points communs qui ressortent des différentes expériences – même s’il analyse presque exclusivement la situation européenne et celle de l’Amérique latine.
À propos du livre de Christophe Aguiton, La gauche du 21e siècle. Enquête sur une refondation, La Découverte, 2017, 242p, 17€
La thèse est simple – et exposée dès l’introduction. Les partis socialistes au sens large et les partis communistes représentent une période dépassée de l’histoire, les premiers parce qu’ils se sont ralliés au néo-libéralisme, les seconds parce qu’ils ne représentent plus le monde du travail (on remarquera que l’auteur ne s’interroge pas sur la pertinence de leurs politiques…). Surtout le clivage capital-travail ne suffit plus à organiser l’ensemble des sociétés. Mais, depuis la fin des années 1980, de nouvelles formes de luttes, de nouveaux types d’organisation, des revendications multiples nourrissent des mouvements associatifs, syndicaux, politiques, enfin, peu souvent reliés entre eux, mais qui réussissent, parfois, à accéder au pouvoir. Une radicalisation s’opère avec la crise financière et économique depuis 2007-2008, les inégalités croissantes devenant insupportables et la critique du néo-libéralisme largement partagée, même si elle nourrit aussi des mouvements d’extrême droite. La gauche traditionnelle se trouve dans la difficulté, car elle est trop souvent incapable de sortir de l’alternative entre une conversion au néo-libéralisme et la défense des acquis que les mutations du système productif affaiblissent inévitablement.
Crises et stratégies
Christophe Aguiton étaye sa thèse en trois parties dans son parcours.
La première partie établit un diagnostic de l’état du monde. La diversité des crises constitue autant d’ingrédients, pour des contestations fondamentales. Un inventaire des mouvements de contestation est présenté. Les crises contemporaines sont analysées. Elles sont, principalement, économiques, écologiques, démocratiques.
La seconde partie se veut stratégique. Il faut abandonner les outils traditionnels – par exemple, les nationalisations étatiques. Le cadre national ne peut pas être l’horizon aujourd’hui. Il ne peut plus y avoir, non plus, un acteur social privilégié – la classe ouvrière. La fragmentation du monde du travail demande de prendre en considération de nombreux acteurs sociaux. Il faut penser désormais en termes « d’intersectionnalité ». Ce qui apparaît décisif à l’auteur c’est la question démocratique. Toutes les crises – selon lui – mettent en cause la démocratie représentative et font apparaître une nouvelle culture démocratique, qui utilise les technologies nouvelles de communication.
La troisième partie analyse quelques expériences nationales contrastées. Le Brésil d’abord avec les gouvernements du Parti des Travailleurs, avec Lulla et Dilma Rousseff, qui ont mis en œuvre des réformes sociales utiles, mais n’ont pas osé mettre en cause le système politique traditionnel et, passablement, corrompu. L’auteur préfère les expériences du Venezuela, de la Bolivie et de l’Équateur – qui sont cependant différentes, avec un rôle de l’armée au Venezuela qui a été décisif (et qui n’est pas analysé). L’auteur ne cache pas l’autoritarisme qui caractérise la « révolution bolivarienne », avec une personnalisation évidente et, dans une moindre mesure, dans les deux autres régimes – qui peut contredire les aspirations démocratiques. L’auteur concède qu’il s’agit d’une « révolution passive », par le haut en somme. La baisse du prix des matières premières depuis quelques années affaiblit ces régimes qui n’ont pas suffisamment travaillé à diversifier leurs économies.
Les pages sur la Grèce sont évidemment attendues. Bon connaisseur des extrêmes gauches européennes, Christophe Aguiton décrit bien la genèse de Syriza. Plus décevante est l’analyse de Syriza au pouvoir. Nous restons, en effet, dans le domaine du constat et du regret. Les choix faits par Alexis Tsipras et la majorité de Syriza de demeurer dans l’euro sont condamnés – et les divisions provoquées dans la gauche grecque explicitées. Mais les alternatives ne sont que mentionnées et, jamais, explorées quant à ce qu’elles auraient impliqué dans leurs conséquences. Les études de cas se terminent par l’examen de ce que représente Podemos. Il est mis en évidence qu’il exprime bien la réalité d’une nouvelle génération politique qui s’inscrit contre la « culture de la transition » démocratique qui a marqué la génération précédente. Les thèmes et les structures du mouvement en font apparaître la nouveauté – malgré des ambivalences et des tensions entre « l’horizontalité » revendiquée et une « verticalité » de fait. La croissance du mouvement créé un débat stratégique entre la ligne dominante, celle de Pablo Iglesias, qui assume un populisme radical, et celle d’Inigo Errejon, prêt à une alliance à gauche, avec le PSOE.
Démocratie directe et autoritarisme
Au total, ce parcours est instructif et permet de prendre une vue d’ensemble des problématiques et des débats en cours dans les nouvelles extrêmes gauches. Christophe Aguiton pense que s’affirme là une alternative au capitalisme néo-libéral autour notamment de l’approche des « biens communs », la condition étant d’aller vers une démocratie radicale qui rende possible les interventions directes des citoyens. Or, les analyses du livre – même si elles ne sont pas suffisamment développées – montrent qu’une bonne partie de ces mouvements, qui théorisent et mettent en œuvre une stratégie populiste, pour remplacer la stratégie de classe, éprouvent, de plus en plus, une contradiction entre l’influence dominante des leaders, qui veulent incarner le « peuple », et les intentions démocratiques. Ils retrouvent, qui plus est, les ambiguïtés des anciennes gauches communistes vis-à-vis de la démocratie pluraliste. L’autoritarisme s’affirme dans tous les exercices du pouvoir à partir de ces bases populistes. La discussion est, sur ce point important, trop courte.
L’autre problème – et il n’est pas étonnant chez l’auteur – est la facilité de pensée qu’il y a à mettre une équivalence entre la social-démocratie et le néo-libéralisme. Les difficultés des partis de cette famille sont connues – et nous les avons analysées à multiples reprises dans nos publications. Mais les adaptations que réalisent ces partis – aussi critiquables qu’elles peuvent l’être – n’ont pas réduit les modèles sociaux – ceux-ci ont même tendance à couvrir plus de domaines. Les taux de prélèvements obligatoires distinguent les pays qui ont été marqués et le sont encore par la social-démocratie des vraies sociétés libérales. La réflexion de l’auteur demeure là trop superficielle. Cela se voit quand il parle de la Grèce et se contente de déplorer une politique. C’est, pourtant, un économiste marxiste, Charles Bettelheim, qui avait dit : « Quand on ne compte plus, c’est la peine des hommes que l’on ne compte pas… ».
Alain Bergounioux