Ce petit livre reprend le texte d’une conférence faite par Gilles Kepel, à Toulouse, à la veille des élections présidentielle et législatives, dans le cadre des « Rencontres de la laïcité », organisées par le conseil départemental de Haute-Garonne et la grande librairie des Ombres Blanches. Elle a été suivie d’un débat avec les participants. Cela présente l’intérêt de revenir sur la question laïque à la lumière des défis que pose l’islamisme.
A propos du livre de Gilles Kepel, La laïcité contre la fracture ? Les rencontres de la laïcité, Privat, 2017, 106 p, 9,80 €
Article paru dans L’OURS n°470 (juillet-août 2017), page 1
Gilles Kepel y consacre ses travaux depuis plusieurs décennies et il en est un analyste reconnu, controversé parfois, mais toujours lu.
L’essentiel de la conférence condense ses dernières approches du phénomène djihadiste dans nos sociétés européennes qu’il avait déjà exposées dans son livre La Fracture (Gallimard), paru en 2016. Nous sommes dans une troisième phase après les années 1990, nourries par la guerre civile algérienne, et les années 2000, après le 11 septembre, autour d’Al Quaida. Il s’agit aujourd’hui, avec l’État islamique, d’un « djihadisme réticulaire » construit à partir de communautés nationales, un djihadisme de proximité en quelque sorte.
Les termes de la controverse
On connaît la controverse qui l’oppose à un autre islamologue, Olivier Roy, qui voit avant tout dans le djihadisme européen une radicalisation sui generis qui utilise la religion pour ses objectifs politiques. Gilles Kepel pense, au contraire, que l’intégrisme religieux est essentiel à la compréhension du phénomène. Ce qui ne veut pas dire que les causes économiques, sociales et culturelles n’ont pas de rôle. L’auteur plaide, d’ailleurs, pour la coopération entre les différentes sciences humaines, aucune ne pouvant donner seule la réponse complète. Cela relativise quelque peu la controverse.
En revanche, le désaccord demeure entier avec des intellectuels, comme Raphaël Logier, qui établissent une coupure nette entre le « salafisme » et le « djihadisme », en en faisant même parfois un rempart. La volonté qu’il y a dans le salafisme d’une rupture culturelle avec la société occidentale et de construire une identité fermée sur la religion, contient un potentiel de violence difficile à nier.
Défendre notre société laïque
La gravité des problèmes posés que soulignent les difficultés de la « déradicalisation », alors que les retours des djihadistes engagés en Syrie, notamment, deviennent une réalité, demande d’en prendre la pleine mesure. La dimension de la sécurité est évidemment essentielle. Mais pas moins l’organisation de notre société. Les principes de la laïcité ne sont pas compris par une part de notre population, mais ils sont pourtant essentiels car ils sont protecteurs des libertés.
Mais la laïcité ne peut pas être une invocation, ni des règles seulement imposées. Gilles Kepel y insiste à plusieurs reprises : la laïcité est l’aboutissement d’un processus social et culturel qui demande des politiques fortes pour assurer le succès de l’éducation et la possibilité du travail. Ce sont des conditions clefs pour ne pas être prisonniers d’une identité figée. Le débat laïc ne peut pas avoir qu’une portée interne – même s’il est important de faire la part exacte entre ce qui doit être l’espace privé et l’espace public. Défendre notre société laïque demande une véritable refondation du « processus laïc » dans ses dimensions essentielles que sont le savoir et le travail. Comme le dit Gilles Kepel, c’est le devoir de l’intellectuel de donner son diagnostic, c’est aux responsables politiques, ensuite, d’en prendre la mesure.
Alain Bergounioux