En quatrième de couverture, le livre de ce professeur d’université américain, spécialiste de l’histoire de la France au XIXe et XXe siècles, nous est présenté comme « un travail équivalent à celui de Robert Paxton sur Vichy » en remettant en cause la vision d’une France sclérosée responsable de sa défaite.
A propos du livre de Philip Nord, France 1940 Défendre la République, Perrin, 2017, 233 p, 19, 90€Article paru dans L’OURS 469 (juin 2017), page 1.
On ne sait si l’ouvrage aura le même retentissement que celui de Paxton, mais il est vrai que Philip Nord entend revenir radicalement sur une vision qui est admise – certes pas dans les mêmes termes – aussi bien à droite – depuis Pétain – qu’à gauche, avec, par exemple, L’étrange défaite de Marc Bloch : au-delà des erreurs militaires, ce serait la société française toute entière et sa classe politique qui devraient être mise en cause, avec leur imprévoyance, leur insouciance, leur individualisme, leur égoïsme.1940 aurait marqué la défaite d’un pays sclérosé, bloqué sur le refus de tout modernisme.
La France en première ligne
Pour Philip Nord, ces analyses ne sont pas pertinentes. D’abord, il est excessif de reprocher à la France son impréparation. Qui pourrait lui donner des leçons à ce sujet ? Jusqu’à Munich, les Anglais ont joué la carte de la conciliation à tout prix en Europe, s’opposant à toute intervention, en Espagne comme ailleurs, allant jusqu’à conclure en 1935 un accord bilatéral avec l’Allemagne, sur la limitation des tonnages des flottes de guerre, accord qui fit l’effet d’un coup de poignard à l’égard des Français. Les Américains s’étaient enfermés dans leur splendide isolement et Staline désorganisait brutalement tout le commandement de l’armée soviétique, tandis que les Belges dénonçaient le pacte de défense mutuelle, conclu avec la France en 1920. Philip Nord constate que la France fut la première des nations occidentales à vouloir congédier toute politique de conciliation avec Hitler. Elle était au moins aussi bien préparée que les autres. Certes, son opinion publique bouillonnait de préjugés véhiculant l’antisémitisme ou le pacifisme intégral. On n’oublie pas non plus le retour de Daladier de Munich. Mais il intervint une rapide évolution. D’après les enquêtes d’opinion, les Français étaient, en 1939, dans une large majorité, partisans d’intervenir militairement si Hitler voulait s’emparer de Dantzig. La France ne connut pas les règlements de compte qui se nouaient à l’époque en Allemagne ou en Union soviétique. Et il n’y eut pas de mutineries en 1940. Malheureusement, la France avait un gros handicap : sa situation géographique, avec son voisinage avec l’Allemagne. À la différence des Britanniques ou des Soviétiques, elle n’avait pas, pour ligne Maginot, la Manche, ou l’immensité des steppes russes.
Il serait malhonnête d’accuser les dirigeants politiques d’avoir mésestimé le danger. En 1935, le service militaire fut porté à deux ans, et, sous l’assemblée du Front populaire, le budget militaire fut élevé de 12,8 milliards à 93,7 milliards. Et nous avions autant de blindés que les Allemands. La cause de la défaite est à rechercher dans les graves insuffisances des chefs militaires et non dans une prétendue démoralisation de la population. Il y eut cette faute énorme de Gamelin qui transféra à la frontière hollandaise la 7e armée de Giraud, une des meilleures, et qui fit cruellement défaut lors de la bataille de la Meuse. Et puis, l’organisation générale de l’Armée était trop lourde, trop fortement hiérarchisée. Il fallait attendre toutes les décisions du QG du général en chef, installé à Vincennes, alors qu’en face, des généraux brillants comme Rommel ou Guderian bénéficiaient d’une assez large autonomie. Notre état-major mettait trop de temps pour réajuster les plans, et l’esprit de défensive systématique conduisait à la paralysie, comme en témoigne, par exemple, la contre attaque beaucoup trop timorée de Flavigny sur le flanc sud de Guderian lors de l’offensive sur Sedan, alors que, de l’avis même des Allemands, une vigoureuse contre-attaque française avait alors toutes les chances d’être victorieuse.
La République assassinée
De graves erreurs stratégiques donc, auxquelles il faut ajouter les trahisons politiques. La Troisième République ne s’écroula pas d’elle-même, minée de l’intérieur. Elle fut assassinée par un coup de force mené par des militaires et par de hauts fonctionnaires. Voulant renforcer son gouvernement, Reynaud y avait fait entrer des gens au nom prestigieux ou des étoiles montantes. Seulement, les Pétain, Weygand, Noguères, Bouthillier et autres Prouvost étaient des antirépublicains viscéraux, prêts à en finir avec la « Gueuse ». Ils firent obstacle par tous les moyens – y compris les menaces d’insubordination proférées par Pétain – à la recherche d’une solution qui préservait la République, comme l’éventualité d’un transfert du gouvernement en Afrique du Nord. Et Pétain obtint de la Chambre les pleins pouvoirs, en l’absence d’importants ténors embarqués sur le Massilia, Mandel, Daladier ou Mendès France entre autres, et au prix d’un infernal chantage de Laval.
Certes, Philip Nord n’exonère pas la classe dirigeante de toute responsabilité. Il souligne le manque de courage de Reynaud, par exemple, « à braver le destin ». Mais ses conclusions sont fermes : la France n’était pas plus mal préparée que ses voisins ; ses gouvernants n’étaient pas plus déficients ; les troupes étaient aussi prêtes que les autres à se battre. C’est au niveau des élites militaires et civiles qu’il faut dénoncer les responsabilités essentielles. L’incompétence des uns et la trahison des autres provoquèrent la défaite et abattirent la République.
Claude Dupont