Septfonds ? En allant sur Wikipédia, vous saurez dorénavant localiser ce lieu dans le département du Tarn-et-Garonne, une commune voisine de Montauban. Personnellement, ma famille montalbanaise, Gineste et Lafon, ne m’en avait jamais parlé. En 1991, comme beaucoup, j’ai découvert avec l’ouvrage d’Anne Grynberg ces « camps de la honte » où furent internés des républicains espagnols, des antifascistes étrangers, des Juifs qui eux partirent presque tous vers Auschwitz. Mais je n’avais retenu que les noms de Gurs, Argelès, Vernet, Rivesaltes et le camp des Milles à Aix-en-Provence. Je n’oublierai plus celui de Septfonds, grâce au magnifique ouvrage que Geneviève Dreyfus-Armand vient de lui consacrer.
à propos du livre de Geneviève Dreyfus-Armand, Septfonds 1939-1944 dans l’archipel des camps français, Perpignan, Le Revenant, 2019, 438p, 25€
Article publié dans L’OURS 497, avril 2020
Livre d’histoire remarquable, car toutes les exigences de la méthode du travail historique sont réunies en surmontant un handicap sérieux : les archives du camps ont toutes été détruites en 1945, le 10 juillet précise l’auteure. Il lui a donc fallu en chercher d’autres, les confronter, les critiquer, les rassembler, en tirer les fils conducteurs à même d’écrire le récit et de retrouver la parole perdue des rescapé.e.s de ces années 1940-1944, savoir démêler le véridique de l’approximatif, du reconstruit et des non-dits. L’historienne n’a pris aucun raccourci pour nous livrer l’histoire de ce camps de Septfonds successivement camp d’internement pour réfugiés espagnols, camps militaire pour l’entraînement de soldats étrangers, et notamment Polonais, réservoir de main d’œuvre pour l’économie de guerre, puis d’occupation, une antichambre vers la déportation (Mathausen pour les Espagnols), l’extermination (Auschwitz pour les Juifs).
L’archipel des camps
L’étude du camp ne pouvait être strictement monographique dès lors qu’il n’est pas « une entité isolée mais un îlot au sein d’un archipel, un élément d’un ensemble plus vaste auquel il est relié, vaste réseau d’internement mis en place pour l’arrivée des républicains espagnols ». La lecture du prologue peut laisser penser que Geneviève Dreyfus-Armand limite son étude à cette histoire de l’exode de ces espagnol.e.s républicains et révolutionnaires après leur défaite contre l’armée de Franco et à leur internement dans ce camps entre le 28 février 1939 et mars 1940. Mais la défaite française de juin 1940, l’installation du régime de Vichy et l’Occupation nazie prolongent l’utilisation de ces lieux d’internement, de concentration, comme à Septfonds. L’historienne nous livre alors les résultats de son enquête longue, âpre, parfois décevante, inattendue, découvrant des archives inédites (journaux et correspondances, cahiers de notes, photographies, dessins, témoignages de rescapés).
Internés et surveillants
Au fil des pages mentionnant des chiffres, des dates, des mesures et directives administratives qui nous sont décortiquées, elle nous fait rencontrer une foule importante de personnes, d’hommes principalement et de quelques femmes également, protagonistes de cette histoire, des administrateurs du camp comme des internés. Pour chacun d’entre eux, l’historienne consacre quelques lignes biographiques voire plusieurs pages. Une histoire à hauteur humaine. Une histoire de la souffrance et de l’humiliation, mais également du patriotisme et de l’antifascisme, de la fuite pour sauver sa peau, de la résignation mais aussi du combat résolu. On croise des fonctionnaires, des officiers, des communistes et des anarchistes, des Espagnols, mais aussi des Allemands, des Autrichiens, des Polonais, des Juifs de France ou d’Europe, de toutes les catégories sociales, de toutes les professions. On parcourt également beaucoup de lieux, de communes du département mais aussi de toute la France. On prend alors la mesure de ce maillage, de cet « archipel » que constitue cette France de l’internement, dans des stades (stade Buffalo, stade de Colombes,), dans des camps répartis sur des dizaines et des dizaines de communes. Si bien que l’on cherche à comprendre comment une génération de Français, celle de nos parents ou grands-parents, a pu oublier qu’il y eut entre 1940 et 1944 des milliers d’hommes et de femmes, plus encore de Juifs internés, parqués, concentrés et partant par convoi entier vers cette destination alors inconnue en Pologne.
Suivre les traces
Il ne s’agit pas ici de prononcer des jugements mais de s’interroger. Geneviève Dreyfus-Armand ne prononce aucun jugement, pas même sur l’itinéraire d’un commandant du camps de Septfonds, Edgar Puaud. Ce dernier fait preuve de « pragmatisme » et ne manifeste aucun zèle à appliquer les directives de Vichy. Beaucoup d’anciens combattants, engagés volontaires étrangers et notamment les anciens combattants juifs lui sont redevables de leur libération et par conséquent d’avoir éviter une déportation qui leur aurait été fatale. Pour autant, Edgar Puaud intègre le 16 juillet 1942 la Légion des Volontaires français contre le bolchevisme (LVF), part sur le front de l’Est au sein de la Wehrmacht. En Poméranie, il passe commandant de la division Charlemagne composée de volontaires français dans la Waffen SS où il disparaît pour réapparaître sous l’uniforme soviétique en 1946 – selon les services de renseignements français, précise l’auteure. Du côté des internés, Geneviève Dreyfus-Armand suit les itinéraires d’un Isaac Kitrosser, ancien photographe reporter pour Vu ou d’un Arthur Koestler, tous deux internés un temps à Septfonds.
Les différentes fonctions du camp que lui attribuent d’abord la République puis le gouvernement de collaboration à Vichy, qui déterminent également le type de population et donc le régime du camp sont ici minutieusement décrites et contextualisées. Celui-ci ne fut pas le même dès lors qu’il s’agissait d’accueillir des réfugiés, d’interner l’individu jugé « dangereux », l’opposant politique ou « l’indésirable », « le Juif », les francs-maçons, ou le combattant mobilisé, puis en attente de démobilisation, ceux qui vont intégrer les compagnies ou groupes de travailleurs étrangers.
Après les neufs chapitres, l’ouvrage se termine par une conclusion intitulée « mémoires vives » revenant sur la question des mémoires du camp, et de son oubli. Une partie conséquente est consacrée aux notes indispensables, et à un cahier iconographique très riche et original : rares photographies amateurs exhumées, collectées et conservées parfois aux archives départementales du Tarn-et-Garonne, des dessins, des peintures, et des tableaux renseignant sur les différents internés au camps avant qu’ils ne partent pour Mathausen ou Auschwitz. Cet ouvrage est une contribution prépondérante à notre Histoire.
Éric Lafon