« Service public, j’écris ton nom », pourrait-on dire en lisant l’ouvrage de Rémi Brouté. En effet, dans une époque emportée par la lutte contre un poids excessif de l’État dans la vie économique, ce livre montre que le service public est le lien qui relie la gauche à son passé et la tend vers l’avenir.
A propos du livre de Rémi Brouté, Service public. L’indéracinable espoir, Comité Central du Groupe Ferroviaire, 2016, 190 p, ouvrage téléchargeable gratuitement CCGPF. http://www.ccgpfcheminots.com à la rubrique : Activité Économique – expositions)
Article paru dans L’OURS 464, janvier 2017, page 3.
Autour des trois piliers que constituent la continuité, l’égalité et la mutabilité, le service public est une nécessité reconnue mais vacillante, nous dit l’auteur. Il renvoie à ces quelque 25 % de la population active sous statuts publics, qu’il s’agisse du statut de fonctionnaire ou des statuts de ces entreprises publiques assurant une mission de service public. Il traduit une conception de l’État comme acteur du développement économique, mais aussi de l’ « interdépendance sociale » dira le juriste Léon Duguit, développement que l’on voudrait aujourd’hui « durable » pour affronter des défis tels que celui du changement climatique. Bien loin donc de cet État actionnaire, confiant la gestion de son portefeuille à une Agence des Participations de l’État (APE) créée en 2004, au prix de l’abandon d’une vision de long terme.
Service public, « bonheur commun »
L’histoire du service public est celle des révolutions qui mène à une République durable, au lendemain du Second Empire. On peut trouver un premier écho du service dans la Révolution, qui assigna en son temps le « bonheur commun » comme but à la société. La gratuité de l’enseignement est le grand projet de Condorcet, que réalisera Ferry quatre-vingts ans plus tard. Le courrier devient une affaire publique. Mais c’est surtout la Révolution de 1848 qui allume la flamme du service public, sur la base de la ferveur utopique de la décennie 1840 rêvant d’une organisation sociale fondée sur le travail en donnant une place centrale aux « producteurs », que ce soit sous la forme de l’industrialisme saint-simonien ou des phalanstères fouriéristes. L’instauration d’un tarif postal unique sur le territoire national (Algérie comprise) le 24 août 1848, sous l’impulsion d’Étienne Arago, représente, de ce point de vue, un pas important dans l’égalité d’accès au service public. Cela conduira Gérard Larcher à écrire dans un rapport parlementaire de 1997 que « le service du courrier est indéniablement l’aïeul, toujours alerte, des services publics de la vie quotidienne ». L’auteur s’arrête également longuement sur le projet de nationalisation des chemins de fer que porte Duclerc, ministre des Finances, en mai 1848. Le Second Empire refermera cette parenthèse, en ouvrant la voie aux aventuriers de la finance, comme les frères Péreire dont l’industrialisme soutiendra un temps la Compagnie du Grand-Central qui visait le développement d’un réseau traversant le Massif central, avant que leur banque, le Crédit mobilier, ne soit liquidée en 1867. Avec le plan Freycinet portant la création de lignes ferroviaires d’intérêt local à la fin des années 1870, ou l’action modernisatrice de Louis Loucheur au lendemain de la Première Guerre mondiale dans le domaine notamment de l’hydroélectricité (la « houille blanche »), la IIIe République contribue cependant à asseoir la place de l’État dans l’économie, avant que le Front populaire ne mette en place la SNCF en 1937. La nationalisation des services publics nationaux à la Libération approfondira ce sillon, en initiant une dynamique industrielle d’innovation dans le domaine de l’électricité (hydroélectricité, nucléaire), des transports ferroviaires (avec le TGV) ou aérien (avec Airbus).
Cependant, de Bastiat et Thiers, jusqu’à une construction européenne reposant sur le principe de « la concurrence libre et non faussée », le service public est également un point de fixation pour un libéralisme hostile à cette présence publique dans la vie économique. Dans ce libéralisme que fait renaître constamment le développement des services publics, le gaullisme marque une étape importante par son ambition « d’établir la nation sur une base de vérité et de sévérité » que proclame le Général dès sa prise de fonction en décembre 1958. La vérité est ici celle de la liberté économique qui se ramène à la « vérité des prix » visée, par exemple, par le Plan Debré de 1966 pour les grands réseaux du gaz, de l’électricité et des chemins de fer. Le temps est alors à l’ « entreprise », déclinée dans le secteur public, par une autonomie croissante des grands opérateurs les obligeant à faire payer leurs services au prix fort pour les usagers. La victoire de la gauche en 1981 laissera espérer que la constitution d’un ensemble substantiel d’entreprises nationalisées offrirait les moyens d’une relance économique profonde, pour contrecarrer les effets délétères d’un patronat plus rentier qu’entreprenant. Les privatisations expérimentées d’abord par Jacques Chirac, alors maire de Paris, sur les services publics municipaux, emporteront définitivement cet espoir avec son arrivée au poste de Premier ministre en 1986.
Une page tournée ?
On pourrait penser, à voir le cours des choses, que la page du service public serait aujourd’hui définitivement close dans une économie globalisée où l’Union européenne impose une libéralisation complète des activités économiques. Le retour historique que propose l’ouvrage, notamment sur le secteur ferroviaire, montre cependant que l’histoire est plus contingente qu’on ne le croit. En effet, le chemin de fer souffre au cours de l’entre-deux-guerres d’un désintérêt qui se traduit par la création de lignes d’autocars concurrençant les lignes locales, ou encore par la fermeture du service des trains de voyageurs sur la petite ceinture parisienne. Le Front populaire, avec la création de la SNCF, ouvrira une autre page avec un renouveau du transport ferroviaire. Cela suggère un parallèle avec la situation actuelle, d’une SNCF démantelée en trois entités, l’exploitation, le réseau et la holding, se lançant dans l’ouverture de lignes de cars pour proposer un transport à bas coût. Or, avec le changement climatique qui condamne le transport routier, le service public du rail retrouve une impérieuse nécessité, notamment au moment où l’État commence à s’engager pour le sauvetage d’Alstom. Plus généralement, le service public n’a pas fini d’apporter ce développement de l’ « interdépendance sociale » avancé en son temps par Léon Duguit, que la crise morale de notre pays rend urgent. C’est au fond la revendication de cette convergence nationale des collectifs de défense et de développement des services publics sur laquelle se conclut l’ouvrage, en rappelant que la solidarité se nourrit de l’action d’un État attentif aux besoins de ses citoyens, portée dans la vie quotidienne par les services publics.
Claude Didry