En plus de 45 ans d’existence, c’est la première fois que notre revue publie des articles consacrés au sport… Est-ce vraiment surprenant ? Sport et socialisme : pour de nombreux militants socialistes qui ont participé à la victoire du printemps 1981, le rapprochement de ces deux mots évoque le titre de l’ouvrage publié par Jean Glavany, quelques mois après l’arrivée de la gauche au pouvoir. Un sujet surprenant, car il y avait alors bien longtemps que le Parti socialiste français ne s’était pas intéressé à cette question.
Pour les plus jeunes générations, il renverra peut-être à une époque bien lointaine où le socialisme voulait prendre en compte toutes les dimensions de la vie sociale et cherchait à apporter sa solution. Quand les pionniers socialistes parlaient de socialisme, le terrain leur était familier. Mais s’agissant du sport, il était beaucoup plus glissant, entre désintérêt pour ces exercices sportifs qui détournent de la réflexion intellectuelle, mais attention à ses vertus s’agissant de l’hygiène du corps et de lutte contre les maux sociaux (alcoolisme, oisiveté, jeux de hasards…), éloge du sport loisir et détente mais condamnation de la compétition… On parlait d’éducation et de formation de jeunes, mais aussi d’embrigadement de la jeunesse… et surtout pas de professionnalisme. On n’en est plus là .
Il est question de tout cela dans le dossier de notre revue piloté par deux historiens, Fabien Archambault et Fabien Conord. Ils présentent dans leur introduction leur démarche dans un champ de la recherche encore peu exploré aussi me contenterai-je de quelques mots. D’abord pour les remercier, ainsi que les chercheurs qu’ils ont sollicités, des angles d’observation passionnants que les articles et l’entretien réunis ici offrent sur la manière dont les socialistes ont appréhendé, en France et en Europe, d’hier à aujourd’hui, la question du sport. Il ne s’agit pas ici de suivre le sport ouvrier dans son développement, ses succès et ses échecs, mais bien de comprendre l’attitude des socialistes face au développement des activités sportives, pratiquées ou regardées. Ainsi, s’agissant des socialistes français, on pourra une nouvelle fois mesurer l’importance de l’action de Léo Lagrange, ministre des Sports et des Loisirs dans le gouvernement de Front populaire et l’empreinte qu’il a laissée dans l’histoire de la gauche. On mesurera également la manière dont, au plan local, les municipalités socialistes se sont saisies très concrètement de cette question, et ont accompagné les initiatives individuelles et associatives.
À travers la place du sport, ce sont nos connaissances sur l’histoire du Parti socialiste qui sont enrichies par ces articles originaux. Comme dans la partie « Histoires socialistes », où Grégory Hû présente les principaux enseignements de sa récente thèse sur l’évolution du recrutement socialiste, de la fin du XIXe siècle à nos jours. Au-delà de ses apports sur la professionnalisation du PS, la place des élus, la perte du lien avec le milieu enseignant, son travail explore en profondeur les évolutions des fédérations du Nord, de Paris, et surtout du Bas-Rhin, peu étudiée.
Dans la partie débat de notre revue, je reviens, à la suite du dossier « De la morale » piloté par Bruno Poucet dans notre revue (n°64-65, juillet-septembre 2013) sur la question de l’enseignement des valeurs républicaines à l’école. En effet, il va entrer dans sa phase pratique, et les événements du début de l’année montrent l’importance d’expliquer, de faire partager et comprendre les valeurs de la République pour qu’elles ne paraissent pas lointaines ou abstraites.
Vincent Duclert, historien de l’Affaire Dreyfus, est aussi un citoyen engagé depuis des années pour la reconnaissance du génocide arménien. À l’occasion du centième anniversaire de ce premier génocide, il éclaire la manière dont les historiens ont participé à sa sortie de l’oubli.
Bonne lecture.
Alain Bergounioux
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L’OURS hors-série Recherche socialiste n°70-71, janvier-juin 2015, 188p, 15€
Sommaire
Avant-propos, Alain Bergounioux
L’événement : Sport et socialisme
Présentation par Fabien Archambault et Fabien Conord
Les représentations socialistes du sport
Thibaut Laurent, Le sport dans l’idéologie socialiste sous le Front populaire (1936-1938)
Christine Bouneau, Les Jeunesses socialistes et le sport
Fabien Conord, Le PS et le sport, 1971-1981
Réseaux et pratiques
Marion Fontaine, Sport et socialisme : le temps d’une transition (années 1940-1950)
François Prigent, Les gauches socialistes et le sport en Bretagne au XXe siècle
Comparaisons internationales
Maurice Carrez, Des muscles et de la moelle : le sport ouvrier en Finlande avant 1930
Joris Lehnert, « Être sportif, c’est bien ; être socialiste et sportif, c’est mieux ». Fritz Wildung et la rupture de 1928 au prisme du Sportpolitische Rundschau
Fabien Archambault, « Stupide et aristocratique ». La lente acclimatation des socialistes au sport au XXe siècle
Document
Le sport à Marseille, de Gaston Defferre à Bernard Tapie, Entretien avec René Olmetta, par Anne-Laure Ollivier
Histoires socialistes
Grégory Hû, « Les roses déracinées. Transformations du recrutement du personnel socialiste : des logiques sociales aux logiques politiques (fin XIXe-2012) »
Débat
Alain Bergounioux, Enseigner les valeurs républicaines
Vincent Duclert, Arménie : le premier génocide. De la sortie de l’oubli à l’entrée dans l’histoire