Cet ouvrage constitue une référence pour toutes et ceux qui veulent comprendre ce qu’est l’Union européenne. Aujourd’hui, il s’agit de sa cinquième édition revue et augmentée. L’auteur enseigne la théorie politique à l’ Université Libre de Bruxelles. Mais il est plus connu du fait de ses responsabilités politiques, président du Parti socialiste belge, il est, en outre, bourgmestre de Charleroi. Mais, ici, c’est le politologue qui nous livre une analyse précise sur le fonctionnement de l’UE et une réflexion sur sa nature, qui fait l’objet de débats permanents. (a/s de Paul Magnette, Le régime politique de l’Union européenne, Sciences Po les Presses, 2023, 272p, 20€)
Dès l’introduction, Paul Magnette présente sa définition de l’Union. Elle n’est ni une fédération, ni une confédération, mais une « fédération d’États ». Elle crée une nouvelle manière de faire de la politique entre des États souverains qui ont construit, entre eux, des institutions, défini des principes, accepté des normes de droit. Il faut donc partir des relations entre l’Union et les États avant d’analyser le régime politique et d’envisager son avenir. Ceci fournit le plan du livre.
Une intégration à intensité variable
La critique sans cesse émise par les adversaires de tous bords de la construction européenne est que Bruxelles dicte ses politiques aux gouvernements nationaux, de plus en plus, contraints. Depuis le traité de Rome, avec ces grands moments d’évolution qu’ont été l’Acte unique et le traité de Maastricht, il y a bien eu une « européanisation » des politiques des États, soit sous la forme d’une « intégration négative », limitant et réduisant les législations nationales dans la dynamique du Marché commun, soit sous la forme d’une « intégration positive » avec les politiques sectorielles. Mais cela résulte des choix des gouvernements nationaux qui ont voulu répondre à des défis extérieurs – comme récemment, la crise financière de 2008, la pandémie du Covid, et l’agression russe en Ukraine. Et ils ne manquent pas d’exercer leur contrôle sur les institutions européennes. Les domaines où l’Union se substitue aux États sont importants (le commerce international, l’Euro), mais limités. L’auteur établit que l’européanisation ne s’apparente pas à un mécanisme de centralisation du pouvoir, comme ce fut le cas dans la construction des États nationaux. L’intégration a une intensité variable selon les domaines. Ce qui fait la complexité de l’Union vient de ce que chaque politique est régie par des procédures propres, les unes relevant de la politique communautaire proprement dite, les autres de la coopération intergouvernementale, certaines d’une « coopération ouverte », et une régulation centralisée ne s’entend que pour la politique commerciale et le rôle de la Banque centrale – pour les États qui ont accepté l’Euro. Cette réalité complexe rend les tensions inévitables. Celles-ci ont rythmé l’histoire de la construction européenne et continueront de le faire.
Un régime « acéphale »
La seconde partie du livre étudie le régime politique dans ses structures et ses pratiques. Pour le comprendre, il faut réaliser que l’Union est un régime « acéphale », qui repose sur une négociation continue entre trois pôles, le Conseil Européen des chefs d’États et de gouvernements, la Commission, le Parlement, avec le rôle désormais établi de la Cour de Justice, gardienne du droit européen.
Les chapitres qui concernent ces quatre institutions, sont détaillés et éclairants. Disons simplement, ici, les principaux enseignements que le lecteur peut en tirer. Le Conseil européen s’est imposé comme le véritable moteur de l’intégration européenne (l’auteur parle d’un « chef d’État collectif »), avec les réunions régulières du Conseil des ministres et la fonction importante du Comité des représentants permanents. Le tout repose, à chaque fois, sur des négociations, où l’enjeu principal est que ne se constituent pas des minorités de blocage qui empêchent de prendre des décisions. La Commission n’est ni un gouvernement, ni un simple secrétariat. Elle a un pouvoir d’initiative et exerce, fondamentalement, un rôle de médiation. Cette nature hybride fait qu’elle est à la fois un organe politique, une administration et, parfois, une agence indépendante. Le Parlement veut avoir un pouvoir de co-décision. Il a accru ses compétences, depuis sa création en 1979, et il a établi des méthodes désormais bien éprouvées, avec ses groupes politiques européens, ses commissions permanentes, son contrôle sur l’action de la Commission. La vie parlementaire est, elle aussi, forcément complexe, car les oppositions politiques et idéologiques se superposent aux intérêts nationaux. Les pages consacrées à la Cour de Justice s’intitulent justement « la politique des juges ». Cette juridiction, en effet, revêt de plus en plus les caractères d’une cour constitutionnelle, dans la mesure où elle est amenée à statuer sur des contentieux politiques qui lui donnent une responsabilité dans l’interprétation du droit européen.
Perspectives
La troisième partie de l’ouvrage fait, en quelque sorte le bilan, pour aujourd’hui et demain, de ce régime politique européen. Une partie des difficultés de l’Union européenne dans les opinions tient au morcellement de la vie politique. Les partis politiques européens sont encore des unions de partis nationaux, ils peinent donc à constituer un véritable espace public européen. Il faut rappeler que les élites européennes sont sélectionnées par les partis nationaux, voire par les gouvernements. Tout cela rend malaisée ce que devrait être une « démocratie transnationale ». Malgré l’habitude prise désormais, pour les élections européennes, par chaque regroupement politique européen de proposer un candidat pour la présidence de la future Commission européenne, les gouvernements, dans la réalité, conservent un pouvoir de décision. Et l’idée de constituer des listes transnationales demeure à l’heure actuelle toujours en pointillé. Le régime politique européen manque des bases sociales nécessaires pour être une réelle démocratie – ce qui nourrit le procès en « déficit démocratique »… Cette situation paradoxale ne gêne pas évidemment les forces opposées à plus d’intégration européenne. Mais cela constitue une indéniable difficulté à un moment où les enjeux européens occupent une place importante dans les scrutins nationaux. Malgré tout, Paul Magnette pense que le temps, avec les multiples interpénétrations entre les pays membres de l’Union finit par créer un sentiment commun qui rend possible la coexistence entre les fiertés nationales et une identité européenne – du moins dans une majorité des opinions nationales. Mais de là à parler d’une « conscience civique commune », il y a encore de la marge… Ce régime politique restera donc hybride en conservant ce mélange de supra nationalité et d’intergouvernementalité qui le caractérise. Mais les proportions peuvent varier à l’avenir – comme elles l’ont fait dans les deux dernières décennies dans le sens d’une plus grande intégration. Et, remarquons-le, à chaque fois sous le coup de nouvelles conditions géopolitiques et économiques. Or, nous sommesaujourd’hui face, non seulement, à cette guerre en Ukraine, avec ce que seront ces conséquences inévitables, mais aussi dans une nouvelle configuration du monde qui demande, d’ores et déjà, à l’Europe d’être autre chose qu’une simple « puissance civile », sous peine de consentir à son déclin – ce, justement, à quoi elle avait voulu remédier au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Alain Bergounioux
L’Ours 530, juillet-août 2023, p. 3