Jérôme Guedj, député de l’Essonne, spécialiste du vieillissement, a publié un Plaidoyer pour les vieux (J.G. Gawsewitch, 2013)
Dans un récent essai stimulant, le socialiste belge Paul Magnette estime que le socialisme contemporain doit faire advenir : « une vie qui met chacun à l’abri de l’insécurité d’existence, qui offre à toutes et à tous la possibilité réelle de développer leurs facultés et leur sensibilité ». En réponse à l’urgence écologique, il appelle à penser la « vie large ».
Concomitamment à ce défi, notre société est travaillée par une tendance lourde : le vieillissement de sa population. Fait biologique, le vieillissement est surtout un destin social : c’est le chemin que l’on a pris qui devient irréversible. Et pour un socialiste, ce chemin ne doit pas être une corvée. Penser « la vie large » exige aussi de se pencher sur « la vie longue ».
Nous vivons un basculement anthropologique jamais observé qui procède de conquêtes sociales
La transition démographique, cette révolution de la longévité est l’un des grands changements anthropologiques de notre temps. Comme la transition écologique ou la transition numérique. Mais bien moins présente dans le débat public et conséquemment sur l’agenda politique. Le déni est pourtant intenable : le nombre des 75-84 ans va connaître une hausse vertigineuse à l’horizon 2030 (de 49 % entre 2020 et 2030) passant de 4,1 millions à 6,1 millions. Ce choc démographique, ne l’oublions jamais, est notamment le résultat de la socialisation des aléas de la vie – la Sécurité sociale – et de la construction d’une offre de soins moderne dans laquelle l’hôpital public a une place particulière. Ensemble, ces conquêtes sociales ont permis à l’espérance de vie de ne cesser de croître ces dernières décennies, même si le rythme de cette croissance s’est tassé ces dernières années. Quant à notre système de retraite par répartition, il a mis fin à la fatalité séculaire de vieillir dans la misère.
La malédiction du grand âge est loin d’avoir été totalement conjurée
Dans La vieillesse, publié en 1970, Simone de Beauvoir fait état des récriminations du directeur de la Salpêtrière au sujet du traitement des « vieillards » par les familles. La philosophe résume la malédiction du Grand Âge dans les hospices de manière cinglante : « abandon, ségrégation, déchéance, démence, mort ». Déjà, les « grandes vieillardes solitaires » constituaient la couche de la société la plus défavorisée. Depuis les années 1970, les choses ont bien changé. Les conditions de prise en charge se sont améliorées en lien notamment avec l’émergence du modèle – imparfait – des EHPAD. La socialisation progressive de la perte d’autonomie, avec notamment la création de l’APA en 2001, qui demeure à ce jour la plus importante réforme du secteur, portée par Lionel Jospin et Paulette Guinchard, a permis de réduire les restes à charge. Face au choc démographique, notre mobilisation reste toutefois en deçà de ce qui est nécessaire. Aujourd’hui, le débat se focalise légitimement sur la nécessité d’une loi grand âge et autonomie, pour renforcer les moyens humains à domicile et dans les Ehpad. Mais même après la Covid 19, virus particulièrement âgiste et le livre Les fossoyeurs de Victor Castanet, le gouvernement continue à procrastiner, refusant l’obstacle financier. Une approche socialiste doit assumer le modèle de Sécurité sociale pour socialiser ce risque et le refus de la marchandisation, en privilégiant les opérateurs publics.
L’adaptation de la société au vieillissement demeure un chantier prioritaire pour mieux partager le bonheur de vivre
Mais l’arbre de la dépendance ne doit pas cacher la forêt du vieillissement. Le socialisme est la quête de l’émancipation collective et individuelle, dont le premier jalon est une vie libérée de la nécessité et de la fatalité. Le droit au bonheur jusqu’au bout de la vie fait figure de leitmotiv de la construction d’une autre société, celle de la longévité heureuse. Aussi, l’adaptation de la société au vieillissement fait partie des grands chantiers à mener. Elle soulève des défis transversaux et colossaux et elle exige une grande mobilisation de la Nation. Concrètement cela comprend la refonte de notre modèle de prise en charge, une meilleure prévention, un changement de braquet concernant l’aménagement des logements et l’adaptation de l’espace public et des transports, pour voir la ville avec un œil de vieux , un système d’allocations mieux proportionnées pour tenir compte des revenus et une lutte acharnée contre l’isolement des personnes âgées et l’âgisme. Un véritable projet de société.
Jérôme Guedj
Article paru dans L’OURS 525, février 2023