AccueilActualitéVers un retour du Parti socialiste ?, par RÉMI LEFEBVRE

Vers un retour du Parti socialiste ?, par RÉMI LEFEBVRE

Le Parti socialiste, déclassé et relégué au second plan de la vie politique depuis 2017, semble retrouver une certaine visibilité et centralité à la faveur d’une crise politique, déclenchée par la dissolution à l’été 2024, qui met à l’épreuve sa double identité de parti de gouvernement (« de responsabilité ») et de parti de gauche.

Le PS a reconstruit son ancrage à gauche, abîmé par l’exercice du pouvoir (2012-2017), par sa participation à un vaste rassemblement de gauche de premier tour (phénomène inédit) par deux fois aux élections législatives. Cette alliance pragmatique, sous domination insoumise en 2022, plus équilibrée deux ans plus tard, lui a permis de conserver un groupe parlementaire et le financement public afférent alors qu’il était menacé de disparition. Ses dirigeants prennent désormais leurs distances avec leurs alliés insoumis mais aussi écologistes, plus dépendants encore qu’eux de l’alliance électorale, leurs circonscriptions étant plus urbaines. Le Parti socialiste a participé au renversement du gouvernement Barnier mais, sur une ligne de crête périlleuse, il a négocié un accord de non-censure avec François Bayrou tout en réaffirmant, non sans une certaine confusion, sa place dans l’opposition. Cette inflexion doit moins à des divergences idéologiques qu’à des enjeux internes, à la culture partisane et aux enjeux de la prochaine élection présidentielle. Sont ici en cause une forme d’attachement à la stabilité institutionnelle ancré dans l’ethos socialiste, la dramaturgie d’un congrès socialiste décisif qui va se tenir en juin et la volonté de s’opposer à la dynamique présidentielle de Jean-Luc Mélenchon.

Le choix de la non-censure
Le PS est un parti d’élus locaux. Cet ancrage territorial, fondement de sa résilience organisationnelle, n’est pas sans effets et il explique pour partie le choix de la non-censure. Comme les députés socialistes l’ont à maintes reprises déclaré, les cérémonies de vœux de janvier ont fait remonter de la part des élus municipaux, mais aussi des associations qu’ils financent ou des citoyens, une aspiration à la stabilité et la crainte d’un non-vote du budget que les parlementaires ont traduit dans leur vote par « esprit de responsabilité ». Le PS ne saurait être associé à un approfondissement de la chienlit qui ferait sans doute le jeu de l’extrême droite et pourrait provoquer une élection présidentielle anticipée pour laquelle, à gauche, seul Jean-Luc Mélenchon est prêt.

Le deuxième déterminant est lié à l’agenda interne du parti qui doit renouveler sa direction (au double sens de groupe dirigeant et d’orientation) lors d’un congrès avant l’été. Enjoint de s’émanciper de la tutelle insoumise, Olivier Faure, candidat à sa succession, a cherché à neutraliser le principal argument qui fonde et légitime son opposition interne (la trop grande dépendance à l’égard de La France insoumise). Il s’agit de fermer les angles d’attaque de la droite du parti. Sur quoi pourra-t-elle dès lors faire campagne pour emporter le vote des militants ? Sur l’évidence et la naturalité d’un candidat socialiste à la prochaine présidentielle ? Les militants sont très attachés au rassemblement de la gauche et conscients des faiblesses persistantes du parti… Jean-Luc Mélenchon dénonce le choix de la négociation comme une victoire de l’aile modérée du parti. Il déclare ainsi à La Tribune du dimanche le 16 février dernier : « Hollande a la main. Il a retourné tout le groupe socialiste en un an ».

Rassembler la gauche
Cette lecture est biaisée. La concession à la droite du PS peut aussi être lue (en bon exercice de « solférinologie ») comme une manière de l’affaiblir et de préserver à terme le rassemblement à gauche (… tout en excluant Jean-Luc Mélenchon). François Hollande, et surtout la ligne de centre gauche qu’il incarne, sont encore largement répulsifs pour la majorité des députés socialistes, notamment les plus jeunes, conscients qu’il n’y a pas de salut pour le PS hors de son ancrage à gauche et de son attachement à l’unité, et que le retour d’un espace électoral au centre gauche est encore assez fragile.

Pour justifier sa quatrième candidature à l’élection présidentielle, le chef insoumis surjoue les divergences avec le PS et surestime à dessein le poids de François Hollande. Jean-Luc Mélenchon et l’ancien président de la République ont besoin l’un de l’autre pour légitimer en miroir chacune de leur candidature et réactiver leur duo-duel des meilleurs ennemis. C’est le scénario de cette confrontation de deux figures des gauches « irréconciliables » qu’Olivier Faure cherche justement à conjurer – à raison… : mortifère, elle condamne la gauche à un nouvel échec.

Une stratégie risquée : vers une primaire à gauche
Cette stratégie n’est pas sans risques. Les socialistes prêtent à nouveau le flanc au procès – récurrent au cours de l’histoire – en trahison et en compromission. Elle redonne le totem de la pureté idéologique à la France insoumise qui s’autoproclame seule gauche véritable, mais les dirigeants socialistes font l’analyse que cette dernière est profondément démonétisée et discréditée dans l’opinion. Jean-Luc Mélenchon a certes toujours des ressources. Sa force tient au fait qu’il est incontesté dans son mouvement (qui est plus trivialement un parti personnel) et qu’aucun autre candidat à la présidentielle crédible ne se dégage à gauche (le PS ne compte pas encore de réels présidentiables identifiés). Le leader insoumis garde par ailleurs une solide base électorale de premier tour qu’il espère faire grandir en captant (comme en 2022) le vote utile au premier tour et en surmobilisant au second les « abstentionnistes de gauche » (réserve cachée de voix qui fait l’objet de tous les fantasmes électoraux des insoumis). Le temps semble jouer en sa faveur. L’agenda à gauche va être dominé dans les mois qui viennent par les congrès du PS et d’EELV, procédures de démocratie interne « éculées » dont les insoumis se sont débarrassés. Les élections municipales vont occuper les esprits, et sans nul doute tendre les relations entre écologistes et socialistes qui ont de nombreuses positions à défendre, d’autant que les insoumis ont décidé de ne plus enjamber le scrutin local, trop proche cette fois-ci de l’élection présidentielle pour être négligé.

Pour sortir de cette impasse, des initiatives ont été récemment lancées autour de Lucie Castets et Marine Tondelier pour affirmer la nécessité d’une candidature unique de la gauche. Mais la définition des méthodes pour produire une incarnation commune et incontestée est un redoutable enjeu, pas simple à démêler. Une primaire ouverte départageant les différents partis de gauche peut être une option mais elle est périlleuse : les primaires ont laissé de mauvais souvenirs et n’ont jamais départagé plusieurs candidats de « grands partis ». Comment pourtant en faire l’économie alors qu’aucun candidat naturel ne s’impose et que la gauche est trop faible pour se présenter en ordre dispersée ? Cette procédure aurait l’avantage de mettre en mouvement la société civile de gauche qui a été au rendez-vous des élections législatives de l’été 2024 et qui se désespère des divisions inextricables d’une gauche impuissante face à droitisation extrême du débat public.

Rémi Lefebvre, professeur de science politique, université de Lille.
Tribune parue dans L’ours 540, mars-avril 2025.

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