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L'OURS n°427 page Culture
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| L’OURS 427, avril 2013
Page 2 : CULTURE Cinéma : Terrence Malick au premier degré, par JEAN-LOUIS COY à propos de À la Merveille, de Terrence Malick, USA, 2013, 1 h 52, avec Ben Affleck, Olga Kurylenko, Rachel McAdams, Javier Bardem
Bien sûr il y a la genèse qui ne s’interrompt jamais, l’Eden où les humains ont cru demeurer, mais qu’en reste-t-il une fois l’euphorie passée, l’univers abandonné à lui-même, l’amour devenu denrée rare, la parole bâillonnée et inaudible, le désordre à notre porte ? Terrence Malick ne cesse d’interroger le monde si déchiré, si incapable de s’achever.
Le problème de ce cinéaste particulier peut être celui de la trop belle image, l’enrichir au point de la réduire par exemple à une performance technique, artistique ou esthétique. C’est un piège dans lequel tombent les spectateurs comme les imitateurs. Les images sont effet si belles, suffisamment pour nous tromper, pas assez pour nous exalter alors qu’elles nous bouleversent.
Il existe plusieurs façons de filmer le Mont Saint-Michel juché au-dessus de la mer comme une merveille connue du monde entier, alliant le médiéval au gothique, le sobre au flamboyant, mais la caméra de Malick y accorde une vérité minérale, le granit des rochers mêlé à la glaise de l’eau fougueuse et salée, puis la peau, les lèvres, les caresses de l’amour né entre deux êtres, aux portes de l’Eden encore entrouvertes. Qu’est-il ce bonheur, où se trouve-t-il ? La quête vaine débute.
C’est l’histoire d’un couple finalement, une femme aimante, un homme indécis et plus faible, le désir et la légèreté de l’assumer, tout devrait s’articuler même au milieu des plaines de l’Oklahoma. Le nouveau monde vaut l’ancien, les êtres restent identiques, le bonheur fou engendre son propre malheur parce que personne ne sait se contenter de lui, il faut que le mal ait sa place. Pourtant la nature ne cesse de nous mettre en garde, les blés, les bisons, les oiseaux, même les ravages industriels de la néo-civilisation, la maladie, la misère, qu’importe, il nous faut accepter la dysharmonie. Elle est le destin du prêtre qui n’entend plus la parole de son dieu et rôde après les âmes essayant de rompre le silence. Lui-même appartient-il à ce paradis perdu, entrera-t-il dans un nouvel univers où l’amour sauvera l’innocence ?
De la performance… Nous voyons que le film de Malick, A la Merveille, repose les mêmes questions que Three of Life, comment le cinématographe pourrait-il y répondre ? Grâce à cette performance esthétique que nous évoquions, le cadre large, le montage juste au point du visible, ici brutal et saccadé, là velouté, ensemble dissonant où le modeste dialogue devient murmure répétitif, la musique ample et éternelle, instant où se séparent les mots et foisonnent les mouvements, danses, nuages, travellings en forme de marée, ce qui fait dire de ce cinéma qu’il est expérimental, vraiment méthode et technique peuvent nous faire avaler des couleuvres…
Reste le sujet. Si nous regardons du côté de Mizoguchi et Bergman, peut-être regrettons-nous l’économie du genre, dire tout en deux mots, un châle qui glisse dans L’Impératrice Yang Kwei-Fei, le dernier plan de Monika, mais Malick est bavard, professoral, seuls ses personnages restent discrets d’où leur talent de représenter plutôt que convaincre.
Alors, il faut voir A la Merveille au premier degré, celui de la simple beauté, la nécessité d’être en paix avec le monde, du cinéma tout court, en prenant garde de ne pas philosopher trop, histoire de goûter pleinement à la joliesse d’une robe rouge dans un champ gorgé de blé jaune. Jean-Louis Coy
L’actu des bulles : Björn vole par VINCENT DUCLERT à propos de André Juillard, Yann, Mezek, Lombard, 2011, 64 p, 16,45 €
Dans la bande dessinée française se détache le dessin d’André Juillard, unique, simple et profond à la fois, très pictural et littéraire comme les scénarios qu’il accompagne en leur donnant une vie pleine de mélancolie et de fine tragédie, à fleur de peau. Dessinateur du Cahier bleu et d’Après la pluie (Casterman) mais aussi de quatre albums de Blake & Mortimer (avec Yves Sente), Juillard a récemment imaginé l’univers visuel de l’histoire des pilotes – juifs ou mercenaires – composant, durant la Seconde Guerre mondiale, l’Israeli Air Force. Volant sur des mezek, ils risquent plus que leur vie à chaque sortie contre les Spitfires égyptiens. Car ces avions de fabrication tchèque, importés clandestinement malgré le blocus grâce à d’immenses traversées aériennes au-dessus de l’Europe en guerre, se révèlent être de véritables cercueils volants. Le suédois Björn, l’un des volontaires étrangers, tente de percer le mystère des accidents à répétition, au milieu du quotidien d’un escadron fait de bric-et-de-broc, peuplé de combattants juifs mais aussi de jeunes combattantes qui n’ont pas froid aux yeux. Comme beaucoup des êtres arrivés sur cette terre, Björn vit lui aussi avec un secret parfois trop lourd à porter, la mer seule l’apaise. Mais il rencontre sur la plage, dans la nuit claire des rivages de Méditerranée, ces combattantes d’un grand courage et d’une générosité inattendue. Vincent Duclert
L’actu des sons, C’est la vie par FREDERIC CEPEDE à propos de Youn Sun Nah, « Lento », 2013, The Act Company
Elle fait la une du Jazz magazine de mars, a droit à une page dans Libération, les ƒƒƒƒ de Télérama, et j’en passe… A-t-elle encore besoin d’un coup de pouce ? Certes non, mais je m’en voudrais de ne pas partager le plaisir que procure le huitième et dernier CD de cette artiste, la plus française des chanteuses coréennes (un pays où tout le monde chante), nourrie de tradition, de comédies musicales, de chansons françaises… Ça, du jazz ? Question oiseuse. Youn Sun Nah fait de la musique. Une voix singulière qui explore les émotions, douce et rauque, murmure et cris. Timbre et scansion changent d’un morceau à l’autre, chacun créant son univers, de courtes scènes joyeuses ou mélancoliques.
En trois jours avec ses fidèles musiciens : Ulf Wakenius (guitare), Lars Danielsson (contrebasse et violoncelle), Xavier Desandre-Navarre (percussions) et Vincent Peirani (accordéon), elle a mis en boîte onze morceaux, ses compositions, celles de ses musiciens et des (re)reprises, de Scriabin à Nine Inc Nails (Hurt), classique et hard rock appropriés. Elle invoque aussi Johnny Cash, à sa manière, pleine d’humour sur le traditionnel Ghost Riders In The Sky comme sur Hurt. Et nous initie à la musique coréenne. Sur Momento Magico, tango mâtiné d’espagnolades endiablées, elle se lance à la poursuite de la guitare de Ulf Wakenius dans un duo entêtant et réjouissant, humour et émotion au-delà de toute prouesse vocale. L’accordéon tout en nuance joue la nostalgie tonique. La matière sonore s’inscrit en 2013, pas loin parfois, entre jazz et folk, du stimulant Becca Stevens Band.
« Lento » joue les ruptures, invite à prendre son temps, ne pas se poser de questions et se laisser porter par Youn Sun Nah et ses musiciens pour partager leur plaisir. Frédéric Cépède Youn Sun Nah, « Lento », 2013, The Act Company
L’OURS au théâtre : Bougre de dîner chez les Ubu par ANDRE ROBERT
à propos de Ubu roi, d’Alfred Jarry, mise en scène Declan Donnellan, théâtre des Gémeaux, Sceaux, puis en tournée pour une longue période)
Depuis la création d’Ubu roi, pièce potache qui fit scandale en 1896, la tradition s’est installée de jouer les personnages excessifs de père et mère Ubu dans des costumes extravagants, façon Bibendum, surlignant leur caractère de guignols ou de pantins indiqué par l’auteur, Alfred Jarry (1873-1907). Declan Donellan revisite et donne une seconde jeunesse à la pièce.
Quand on dit de Jarry qu’il est l’auteur, il s’agit plutôt du rewriter d’un texte volontairement grotesque qu’il a proposé aux éditions du Mercure de France, rédigé initialement (1888) par deux de ses condisciples du lycée de Rennes, les frères Morin, prenant pour modèle un professeur jugé ridicule. Mais la postérité a retenu Jarry parce qu’il a eu une carrière littéraire (même si celle-ci fut, à l’instar de sa vie, très brève) et qu’il a écrit par la suite une série d’Ubu (Ubu cocu, Ubu enchaîné, Ubu sur la butte). On peut voir le gros bonhomme dessiné par Jarry, affublé d’un bouclier et d’un bâton, la tête enveloppée d’un bonnet pointu, dans l’édition originale de la pièce(1), ce que beaucoup de metteurs en scène et costumiers ont visé à reproduire au cours du XXe siècle.
Le metteur en scène Declan Donnellan, à la tête de la compagnie Cheek by Jowl (qui crée des spectacles en anglais, français et russe, avec des troupes différentes, dont les tournées sont internationales) ignore volontairement cette tradition. Son coup de génie est d’avoir conservé la presque intégralité du texte d’origine tout en l’insérant dans une situation contemporaine, un dîner chez des bobos recevant des amis, sous l’œil dévastateur de leur fils adolescent. On connaît peut-être plus les mots restés célèbres du personnage central (« Merdre ! » , « Bougre de merdre », « De par ma chandelle verte ! », « Tu es bien laide aujourd’hui, mère Ubu. Est-ce parce que nous avons du monde ? ») que l’argument d’Ubu roi à proprement parler. En Pologne, c’est-à-dire en fait nulle part, le minable couple Ubu rêve de renverser le roi Venceslas en allant jusqu’à vouloir le tuer ainsi que la reine Rosemonde, le capitaine Bordure, et le jeune Bougrelas. Le tout uniquement pour s’installer sur le trône et jouir grossièrement du pouvoir. Après des moments d’une grande cocasserie où père Ubu croit avoir atteint son but en même temps que de s’être débarrassé de sa femme, les deux membres du couple se retrouvent lamentablement et sont mis en fuite (du fait de la rébellion de Bougrelas notamment), rendus à leur couardise et à leur bassesse (« J’en fais dans ma culotte », « Je ne la lui envie pas sa couronne – Tu as bien raison, père Ubu…»).
Sous nos yeux, tout commence dans un appartement cossu, un soir de réception, dans une atmosphère très policée, n’était l’ado en crise qui filme pour son compte les choses les plus triviales, voire les moins ragoûtantes (qui seront resservies dans des séquences ultérieures, on comprendra pourquoi). Monsieur est content de madame, des amis très comme il faut arrivent, la conversation la plus aimable et la plus banale s’installe. Puis le dîner dégénère, et les personnages se transforment en père et mère Ubu et autres protagonistes de la pièce, dans un soudain déchaînement de l’animalité enfouie en eux. Alors Declan Donnellan fait dérouler à ses comédiens, excellents, le texte même d’Ubu roi, tout en ménageant des moments de retour au calme, où le dîner reprend son cours initial et où s’opère un retour à la situation normale avec conversations tranquilles, quoique dans un décor de plus en plus délabré.
C’est très habile, très réussi, drôle et fort, comme si la charge, un peu émoussée avec le temps d’Ubu roi reprenait, par le dispositif imaginé, une vigueur plus grande. L’adolescent critique, qui s’incarne évidemment en Bougrelas, sert de révélateur à la mesquinerie petite-bourgeoise, il acquiert ainsi une stature quelque peu universelle ; de même la fable sur l’ivresse et la bêtise du pouvoir pour le pouvoir fonctionne d’autant mieux que, ramenés vers des situations contemporaines, nous avons des exemples dramatiques récents en tête (comme, entre autres, le couple Ceaucescu). Un moment théâtral marquant.
André Robert (1) Reproduit dans le Folio classique, Jarry, Ubu, p. 25.
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