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L'OURS : nos dernières pages "Culture"
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La page culture du n°427 | La page Culture du n°425 | La page Culture du n° 424 | La page Culture du n°422 | La page culture de l'OURS 421 (septembre-octobre 2012) | | L’actu des bulles par VINCENT DUCLERT : Hardie Édith
La guerre d’Algérie est en arrière-fond du dernier épisode de la très belle série Agence Hardy imaginée par un vieux routier du scénario, Pierre Christin, dont le couple avec la dessinatrice Annie Goetzinger a été reformé pour l’occasion.
Tous deux avaient enchanté les lecteurs de BD, il y a de très nombreuses années, par leurs grands albums – en tout point – aux noms poétiques et aux histoires douces-amères : La Voyageuse de la petite ceinture, Paquebot, La Demoiselle de la Légion d’honneur, Charlotte et Nancy. L’Agence Hardy, qui met en scène un caractère de femme aussi trempé que les héroïnes précédentes, raconte les aventures d’Édith [Hardy], à la tête d’une petite agence parisienne de détectives privés. Les Diamants fondent au soleil nous plonge dans le passé tragique de l’Occupation, quand les rafles de la police française décimaient des familles entières. Au milieu de toutes injustices de l’existence surnagent des êtres résilients, qu’Édith va croiser et aider. Elle fait corps avec la ville, avec un Paris populaire menacé déjà dans son existence. Au même moment, son jeune Victor qui l’assiste dans ses enquêtes décide de partir en Algérie pour retrouver sa fiancée, disparue dans les soubresauts d’une guerre qui ne veut pas finir. Intercepté à sa descente de bateau sur le port d’Alger par des militaires passés à l’OAS, il parvient à s’évader de la prison de Barberousse et à retrouver Rosa, pigiste à Combat, détenue clandestinement dans une villa mauresque des hauts de la ville. Mais ils sont repris par les factieux. Ayant bouclé son enquête parisienne, Édith saute alors dans un avion pour Alger, retrouve son amant d’agent américain Jones, file avec lui le grand amour et obtient la libération du jeune couple amoureux. Romanesques à souhait, superbement dessinées, les aventures d’Édith survolent l’histoire et lui donnent le visage clair d’une héroïne éternelle. Vincent Duclert (1) Dans une première vie, Pierre Christin a soutenu une thèse en Sorbonne sur le « Fait divers, littérature du pauvre ? ».
Cinéma par JEAN-LOUIS COY : Holy Motors : un cinéma retrouvé
Holy Motors, de Léos Carax, France, 2012, avec Denis Lavant, Edith Scob, Kylie Minogue, Eva Mendès…
Serait-il trop tard pour exalter la beauté passée de l’image animée ou au contraire trop tôt pour comprendre que toute notre vie est un cinéma ?
Non pas qu’il s’agisse seulement d’évoquer la magie du spectacle, son mystère, c’est de notre destin dont la caméra nous parle. Nous sommes des enfants, des voraces, des vauriens, des bons pères de famille et des héros paillettes. L’écran nous renvoie nos rêves et réécrit nos désirs et nos peines.
Léos Carax, dans ce dernier film présenté à Cannes il y a deux mois, Holy Motors, irrite
autant qu’il enchante. Le cinéaste nous entraîne dans le mouvement incessant de ces machines appelées caméras, jadis énormes, aujourd’hui minuscules qui semblent pulser la vie de la même manière que l’organe cœur alimente le corps anatomique et les viscères. Celui des clowns, des funambules, des acrobates mais aussi des meurtris, des tordus, des affamés, cette caméra interprète en plus notre conscience physique, physiologique, tour à tour œil, gueule, sexe, viande au point de devenir beauté, fantasme, créativité.
Toucher à la vérité du cinématographe c’est en accepter le délire, le mensonge, l’illusion et la catastrophe.
Ainsi ne se raconte certainement pas Holy Motors, sorte d’hallali génial jaillissant d’un écran d’abord noir puis illuminé par la salle traditionnelle aux fauteuils rouges alignés où chacun d’entre nous affronte son imaginaire.
Le piège nous surprend, était-il possible de pénétrer ainsi dans notre mémoire de cinéphiles et, pour ceux qui ne le seront jamais, devient-il raisonnable de se soucier d’une image animée déjà plus que séculaire ?
Voilà le sujet de ce film riche de mille histoires irracontables dont chacune est alors capable de se transformer en poème. Essayons cependant.
Acteur de notre cinéma Un homme protée, un acteur multifacettes, sautant d’un rôle à l’autre, véritable mercenaire probablement sous contrat, métaphore du comédien exténué par la composition interchangeable, les travestissements perpétuels, les épreuves épuisantes, déroule son éphémère quotidienneté à recréer celle des spectateurs muets cachés dans l’obscurité de la salle.
À ses côtés, conduisant la voiture inouïe, gigantesque loge où l’on se grime, se métamorphose, mange sur le pouce, pisse et boit, le factotum, agent impresario, conseiller de carrière, gère son emploi du temps comme on le fait d’un prolétaire. Alors nous comprenons combien surprend un tel opus qui n’est pas un banal exemplaire iconoclaste mais un hymne triomphal à la poésie cinématographique.
Holy Motors, selon la formule, est un film plein de cinéma.
Les acteurs ? Denis Lavant, bien sûr, personnage clé de son metteur en scène depuis des années, virevoltant, insaisissable, pantin douloureux, excessif, éreintant. Édith Scob, personnage légende, diaphane, intemporelle, Ève future à jamais. Kylie Minogue, découverte, fille-souvenir, tendresse, amour de jeunesse ?
Dans la nuit des sunlights le voyage de la limousine américaine blanche, fatiguée des studios et du tournage de la journée, juste avant de retourner dormir dans un garage où rode Lewis Carroll et l’attendent ses compagnes à quatre roues, ressemble à une longue quête à la recherche de notre rêverie.
En fait, le secret de ce film français unique, treize ans après Pola X, est de nous secouer hors de notre léthargie audiovisuelle.
Ici, entendons-nous la beauté grâce à Chostakovitch, Gérard Manset, les Sparks, voyons-nous Paris, la Samaritaine de Boy Meets Girl, Eva Mendès en statue mi-voilée, un vieil homme agonisant, un jongleur lumineux, mais surtout, non point au nom d’une certaine nostalgie, plutôt par amour fou du 7e art, l’écho des œuvres passées que nous offre le cinéaste Léos Carax. Le cinéma retrouvé, vraiment.
Jean-Louis Coy
L’OURS au théâtre par ANDRE ROBERT : Honorons les « petits » festivals
Retour sur le festival du « pont du Bonhomme » (Lanester, Morbihan)
Hors les grands festivals internationaux, la France fourmille – on le sait – de festivals à l’implantation et à la réputation locales, indispensables à la respiration culturelle de l’ensemble du territoire et infiniment respectables, même si leur niveau n’est pas celui de l’avant-garde théâtrale. L’esprit de la décentralisation, officialisée dans les années d’après-guerre par l’action de Jeanne Laurent (1902-1989, sous-directrice des spectacles et de la musique à la direction générale des Arts et Lettres au ministère de l’Éducation nationale, de 1946 à 1952), s’y perpétue. Parler de l’un d’eux plutôt que d’autres peut sembler arbitraire, voire injuste, mais on peut convenir que célébrer l’un, c’est – à travers lui – rendre hommage à tous les autres, et plus particulièrement aux intermittents du spectacle qui s’y produisent, cœur vivant de notre théâtre.
Ainsi naquit à l’été 1981 (tiens, tiens), sous l’impulsion des comédiens Jean Le Scouarnec et Pierre Debauche et de Philippe Froger, devenu depuis médecin, le festival du « pont du Bonhomme ». Cet édifice se situe près Lanester (Morbihan), et le théâtre d’été aux gradins tournés vers les eaux du Blavet a pour fond de scène (comme Bussang la forêt vosgienne) un cimetière de bateaux très émouvant à la nuit tombante. En 1996, les fondateurs ont passé la main à Alain Kowalczyk, directeur de la compagnie de l’Embarcadère, qui chaque fin de juillet organise la programmation (à propos de ses choix, et en lien avec la poésie du lieu, il parle de « forme théâtrale poétique »).
Cette année, carte blanche fut donnée au poète et romancier Eugène Durif, invité d’honneur. On a pu aussi retrouver avec un certain bonheur la troupe internationale, basée en Allemagne, Ton und Kirschen Wandertheater. L’idée de forme théâtrale poétique est particulièrement appropriée au jeu de cette compagnie, qui cherche à créer des effets de magie théâtrale et qui cette fois a choisi de se consacrer à la vie et à l’œuvre de Federico Garcia Lorca avec un spectacle intitulé La Luna, luna. Les comédiens, qui parlent plusieurs langues, et jouent de plusieurs instruments de musique, se montrent pleins d’allant, des plus jeunes (enfants) aux plus anciens ; ils pratiquent un théâtre qu’on pourrait dire de tréteaux (en rapport avec la tradition du théâtre ambulant) et de bricolage (ils essaient différentes choses, dont certaines « prennent » mieux que d’autres, produisant comme par étincelle telle image poétique très touchante). En l’occurrence, la scène extraite de La maison de Bernarda Alba, dont la plupart des rôles féminins sont magistralement interprétés par des hommes drapés de noir, est spécialement réussie, ainsi que celle de la mort et de l’enterrement de Garcia Lorca.
La magie ayant opéré, même si c’est par instants ou une seule fois, on rentre, charmé, en songeant à la chanson : « Demain matin/ Quand le soleil va se lever/Ils seront loin/ Et nous croirons avoir rêvé/ Les comédiens… »
Un prochain été, si vous êtes dans le coin fin juillet, ne manquez donc pas le festival du pont du Bonhomme, et, où que vous soyez, n’hésitez pas à honorer de votre présence les « petits » festivals.
André Robert
L’actu des sons par FREDERIC CEPEDE : <B<Racines à l’air libre
Trentenaires, le trompettiste franco-catalan Raynald Colom et le guitariste et chanteur benino-new-yorkais Lionel Loueke, passés tous les deux sur les bancs de la Berklee de Boston, viennent de sortir des albums qui se rejoignent. Leurs compositions et leur jeu font appel autant à leurs racines qu’à une culture musicale éclectique nourrie de multiples rencontres.
Avec « Rise », le quintet convoqué par le catalan nous emmène d’abord pour onze minutes sur les rivages du hardbop (Ouverture). Puis l’ambiance se fait plus feutrée, surtout quand le premier invité, le rappeur Core Rythm, pose son flow. Un orchestre à corde, introduit d’abord par un tam tam, fera plusieurs apparitions, faisant défiler de nouvelles images. Une subtile reprise d’Avec le temps, le voyage se poursuit, fait escale du côté du standard de Bix Beiderbecke In a Mist nous ramenant aux origines du jazz ou du cinéma. Sans oublier le flamenco.
Loueke, ici plus électrique, s’est associé au pianiste Robert Glasper (coproducteur de l’album) pour un CD entre jungle et asphalte. Confortablement adossé à la basse de Derrick Hodge et à la batterie de Mark Giuliana, il mixe les rythmes, s’offre quelques solos de grande classe, laissant aussi toute leur place à ses musiciens. Superbe, groove et sensualité, ritournelles et vaudou, avec le concours sur deux titres du phrasé si original de Gretchen Parlato. À suivre. Frédéric Cépède
Raynald Colom, « Rise », Jazz village, Harmonia Mundi, 2012 ; Lionel Loueke, « Heritage », Blue Note, 2012.
| | La page CULTURE de L’OURS 420, juillet-août 2012, page 2
L’Actu des bulles, par Vincent Duclert: L’or sous les tropiques
Tibéry, Lefebvre, Pécau, L’Or de France, T2. 12 milliards sous les tropiques, Le Lombard, 2012, 56 p, 14,45 €
Denis Lefebvre et Jean-Pierre Pécau sont des scénaristes inspirés. Avec leur complice Tibéry (pour le dessin), ils permettent à la France de récupérer 254 tonnes de pièces d’or et de lingots (représentant douze milliards de francs), le fameux trésor de la Banque de France prestement évacué le 11 juin 1940 par mer, depuis Brest, sur le fleuron de la Royale, L’Émile-Bertin, alors que les troupes allemandes investissaient les faubourgs du port breton. Que l’Élysée et Bercy ne rêvent pas trop quand même, l’or est bien revenu, mais le 10 mars 1946, à Cherbourg, après une villégiature reposante sous les tropiques, sur l’île de la Martinique. Enfin, façon de parler… Car un tel trésor entreposé dans les entrailles du fort Desaix, durant toute la guerre, a suscité bien des convoitises et d’homériques batailles d’espions. 12 milliards sous les tropiques s’ouvre du reste sur de très belles planches de la plage du Diamant, une nuit de 1941, sur une mer d’huile éclairée par la pleine lune, simplement troublée par la silhouette d’un U-Boat allemand et le sillage d’un canot pneumatique ralliant le rivage. L’agent allemand est accueilli par deux truands au service de la Gestapo, aux trousses de l’or depuis Brest. Sur place, la Martinique est sous administration vichyste, un amiral et 2 000 hommes, mais les gaullistes s’agitent avec leurs réseaux et leurs hommes dont un socialiste et franc-maçon, Maurice des Étages, assisté d’un aventurier de haut vol, Frye, de mèche avec les Américains également très actifs. Les Anglais sont de la partie aussi. Tout ce petit monde se croise et s’affronte sur l’espace clos d’une île sous les tropiques, enclave française dans les Caraïbes où surgissent tels personnages improbables comme Aimé Césaire au milieu d’une incroyable bibliothèque ou André Breton accueilli sur le quai de Fort-de-France par son vieux complice Frye en souvenir d’une amitié espagnole. La guerre des espions (on ne dit pas encore « barbouzes », il faudra attendre Alger en 1960) bat son plein tandis que l’amiral, accroché à sa « neutralité », navigue entre l’Allemagne et les États-Unis, entre les sous-marins allemands en maraude et les croiseurs américains qui font relâche en Martinique. La présence de l’or agite tous les esprits et polarise les imaginations. Frye est à la tête d’une équipe qui s’emploie à creuser un tunnel jusqu’à la salle souterraine du fort, tandis que l’amiral songe à couler l’or en mer, surtout si la menace d’invasion américaine augmente. Le blocus de l’île par la Navy exacerbe les passions locales, les mutineries se succèdent, l’amiral s’apprête à se réfugier sur l’Émile-Bertin au mouillage mais son équipage se révolte à son tour. Quelques jours plus tard, le 14 juillet 1943, l’envoyé du général de Gaulle Henri Hoppenot débarque à Fort-de-France proclamant qu’il ramène « la France et la République », tandis que les Américains exfiltrent l’amiral Robert vers Porto Rico. L’or n’a pas bougé sous la tempête. La Martinique peut retomber dans sa torpeur et ses trafics en tout genre. Clap de fin pour une série menée à grand train, avec des deux albums aux styles radicalement dissemblables, atlantique pour l’un, tropical pour l’autre, que restituent les couleurs et le trait d’un dessin particulièrement réussi. Quant au scénario et aux dialogues, pédagogiques sans être pédants, alertes et riches, ils donnent l’unité à une histoire française dans la guerre mondiale. Vincent Duclert
CINEMA : Contre-palmarès de Cannes 2012 par Jean-Louis Coy
À distance nous pouvons revenir sur le dernier Festival de Cannes pour deux raisons essentielles : la plupart des films ne sortiront que dans deux, trois mois, parfois plus tard… et certains ne sortiront jamais. C’est dire que seuls les primés ou les biens lotis profitent du système de distribution, les autres auront peut-être une clientèle télévisuelle..
Que penser, une fois les paillettes disparues, de cette dernière édition sinon qu’elle ne fut ni pire ni meilleure que celle de 2011 considérée comme exceptionnelle. C’est une habitude de juger à la va vite, mais tout de même, il y avait de bons films cette année, la particularité fut de ne pas leur accorder grande importance. Il fallait sans doute se plier aux goûts du jury dont le président dominait les choix.
Enfin, l’étonnant de l’histoire reste le palmarès qui, pour des raisons obscures, a omis de citer, rien que citer, les grandes œuvres. Certes, ces dernières n’ont pas besoin de cela pour faire carrière dans les salles mais les festival lui-même y aurait gagné en fiabilité.
Le film de Jacques Audiard, De rouille et d’os, est typiquement un produit « palme d’or », car maîtrisé, intéressant à la fois dans son traitement et son prétexte : rien pour lui.
Cosmopolis, de David Cronenberg, sans doute le plus frappant témoignage métaphorique de la crise financière mondiale alliant le vampire bipolaire au désastre humain à travers une mise en scène incroyable puisque réduite à une immense limousine cercueil : rien pour lui.
Le film de Léos Carax, Holy Motors, la victoire du cinématographe, l’élan créateur, l’ingéniosité, le style, la poésie, l’interprétation, bref le film à ne pas rater lors d’un festival qui prétend encore défendre le 7e art : rien pour lui.
Si nous ajoutons les oubliés interprètes, les films américains de Jeff Nichols (Mud) et Andrew Dominik (Killing Me Softly), enfin le coréen Im San Soo (Do-Nui Mat ou The Taste of Money), nous avons la totale, la gabegie.
Nous passerons sous silence bien sûr le palmarès associant le 3e âge sympathique, la nullité filmique, le copinage et un étonnant prix du scénario attribué à une œuvre relatant une histoire vraie déjà racontée par écrit (!).
Reste, tout de même, Les Bêtes du Sud Sauvage de Benh Zeitlin, une révélation, Le Grand soir, de Kerven et Delépine, Aimer à perdre la raison de Joachim Lafosse, Student de Dareshan Omirbayev, tous ces films cités étant sélectionnés dans la section « Un certain regard ».
Nous retiendrons une note spéciale pour le court métrage turc de L. Reza Yesilbas, Sessig-Be Deng, lauréat de la Caméra d’or remise pour une première réalisation.
Donc, il y avait de bons films, une excellente cuvée artistique à Cannes, mais il suffisait de ne pas s’y tromper, à mon sens ce n’était pas très difficile.
Pour nos lecteurs amateurs de belles œuvres, notons la sortie en DVD du film de Powel et Pressburger Le Narcisse noir (Carlotta), le coffret « Sacha Guitry. Un esprit français », « L’intégrale Jean Vigo », et « Maurice Pialat » chez Gaumont. Enfin rappelons l’exposition, Tim Burton à la Cinémathèque française et la sortie d’un coffret des œuvres du grand cinéaste (15 films DVD ou Blu-ray, Warner-Fnac). Bonnes vacances.
Jean-Louis Coy
L’actu des sons : Processus de création
Le guitariste français Pierrejean Gaucher navigue depuis toujours entre rock, jazz… et La Fontaine, en fin connaisseur de la musique et de l’approche de la composition de Frank Zappa. Musicien subtil, il avait enregistré il y a deux ans « Melody Makers », un CD d’arrangements sophistiqués de « tubes » de groupes anglais (Bowie, Sting, Led Zeppelin, Deep Purple, Beatles…) s’adjoignant les services du violoncelliste Clément Petit et du batteur Cédric Affre. La matière sonore produite par le trio était des plus excitantes.
Le courant s’est maintenu entre l’aîné et les deux jeunes. Gaucher a cette fois fait appel à Petit pour composer les dix titres du bien nommé « Melody Makers II ». Du rock, de la pop joués par un trio aux accents jazz, la réussite est totale. Entre ballades nostalgiques (Arcanes), rock urbain (Asphalte), accents Beatles mâtinés de Django Reinhardt (So Frenchy), le « processus de création » (explicité dans la vidéo qui complète le CD) ne néglige pas l’humour. Et quand le cello envoie du métal, que la fée électricité sature, on savouve la continuité conceptuelle chère au grand FZ (au cœur du disque, le dialogue cello-guitare sur Sleep Sweet répond à Sleep Dirt du moustachu, et Page Blanche, réveil électrique, à The Black Page). Une variété d’univers, d’ambiances, qui comble les oreilles.
Frédéric Cépède Pierrejean Gaucher, « Melody Makers II », Musiclip, 2012, 15 e
PS : En piano solo « live », le dernier CD de Kenny Werner (« Me, myself &I », Justin Time, 2012), qui revisite des standards éternels (Round Midnight, Blue in Green, Giant Steps, All the thing…), offre une heure d’un bonheur total.
L’OURS au théâtre par André Robert : Le théâtre de l’entreprise
Les travaux et les jours, de Michel Vinaver, théâtre du Lucernaire Du 7 au 28 juillet, 16h30, Compagnie Italique, Théâtre des Lucioles, Avignon.
Michel Vinaver, l’auteur de cette fable industrielle (fable très expressive de la réalité), sait de quoi il parle : il a exercé longtemps à de très hauts postes de direction chez Gillette France. PDG le jour, écrivain la nuit en quelque sorte (dès 1951, il écrit un roman, L’objecteur, dont sera ensuite tirée une pièce intéressante).
L’entreprise Cosson, qui fabrique des moulins à café, a été fondée en 1869 par « Monsieur Théophile ». À celui-ci ont succédé, de père en fils, « M. Louis », « M. Martial », « M. Albert » et aujourd’hui (nous sommes en 1977) « M. Pierre ». Cette généalogie, faite de respectueuse révérence teintée de familiarité, sort de la bouche d’un des employés de l’entreprise, Guillermo, technicien modèle qui s’occupe des réparations les plus délicates (car, chez Cosson, on répare encore, on ne change pas un matériel défectueux, c’est même la marque de fabrique). A ses côtés, Jaudouard est le chef de cette unité réparations, quelque peu imbu de sa personne comme il se doit, arrivé à ce poste par promotion interne. Les deux hommes, qui reproduisent dans leur comportement machiste la mentalité paternaliste de l’entreprise, tentent de dominer et de posséder les femmes – d’âges différents – qui travaillent avec eux, Nicole, Yvette et Anne, une responsable et deux téléphonistes (dont la dernière arrivée, jeune et pimpante, n’est pas la moins ambitieuse). Tout semble fonctionner comme il en a toujours été depuis un siècle, dans une conception hiérarchisée, cloisonnée et figée de l’organisation, avec ses petites zones d’incertitude. Soudain, il apparaît – le personnel ne veut, ne peut pas y croire – que les sociétés Beaumoulin et Mixwell se disputent le rachat de Cosson et que « M. Nicolas » (18 ans) ne succèdera jamais à « M. Pierre », d’ailleurs plus préoccupé par ses parties de golf que par la santé économique de son entreprise. Cette reprise, avec son lot de restructurations internes et de licenciements, définit l’enjeu. Michel Vinaver est écrivain, auteur dramatique, poète. Il n’aura en effet pas échappé au lecteur que le titre choisi pour nous conter un épisode économique relatif à une des innombrables mutations du capitalisme, est emprunté au poète grec Hésiode. De fait, si la parole des protagonistes est on ne peut plus réaliste et banale pour dire la vie au jour le jour de leur société, elle sonne aussi poétiquement dans les relances et les échos qui se produisent de l’un à l’autre et composent un véritable rythme (Vinaver emprunte au philosophe Henri Maldiney cette analyse, qu’il vise à traduire dans sa dramaturgie : «Les propos parlés/entendus communiquent par leurs marges… Ce sont les intersections d’horizons qui font la continuité du poème », ici morceau théâtral).
Valérie Grail, qui signe la mise en scène, réussit parfaitement à rendre cette intention quasi poétique de l’auteur, sans rien manquer de l’aspect démontage critique du mécanisme économique à l’œuvre, cela à même la chair, la sensibilité et les blessures des personnages (tous très bien incarnés). Malgré ce qui pourrait sembler l’aridité de la proposition théâtrale, on ne s’ennuie pas une seconde, on est même captivé (parfois ému et amusé) par ce qui se passe. Ainsi le théâtre atteint, par les voies qui lui sont propres, une puissance analytique qui ne le rend pas inférieur à l’approche théorique. L’ancrage historique (la fin des années 70 et des Trente Glorieuses) est signifié à travers le mobilier, les tenues vestimentaires, la teneur de la fête finale. Une autre dimension de la pièce est ici bien révélée : celle de la révolution des mœurs, dans l’après-68. On a donc affaire à un spectacle en tous points remarquable et recommandable. Dans le maquis du « off » en Avignon, où celui-ci sera prochainement repris, il mérite d’être distingué en priorité par le festivalier . André Robert
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© L'OURS - 12 cité Malesherbes 75009 Paris
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