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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Robert Verdier, La vie clandestine du PS (1944)


Robert Verdier,
La vie clandestine du parti socialiste, 1940-1944
Éditions de la Liberté, Documents socialistes n°3, 1944, 86 p

Publiée dans le dernier trimestre 1944, cette brochure de Robert Verdier est l’un des rares textes édités par les socialistes à la Libération sur leur activité dans la Résistance. On peut seulement signaler au même moment celle de Pierre Dupradon, Le Parti socialiste dans la Résistance, édité par Fraternité, hebdomadaire du Parti socialiste à Alger.
Alors que la guerre se poursuit, Robert Verdier éclaire l’action de ses camarades de la lutte clandestine et leur rend hommage, notamment à Léon Blum, dont la défense à Riom provoqua un choc dans l’opinion socialiste, Henri Ribière, Daniel Mayer… et tant d’autres. Mais, par prudence, il ne cite pas les noms des socialistes déportés en Allemagne, Suzanne Buisson, Amédée Dunois, Jean Lebas par exemple, pour ne pas attirer l’attention de leurs geôliers sur eux et sur leurs familles. Précaution finalement vaine pour ces trois camarades qui ne reviendront pas.

Dans ce texte, Robert Verdier, secrétaire général adjoint du PS clandestin, et résistant de la première heure, gomme certaines aspérités du combat résistant des socialistes, notamment dans les relations entre le Groupe Jean Jaurès à Londres et le Comité d'action socialiste (CAS)1. Mais il expose à chaud le sens du combat des socialistes, leurs relations avec l’ensemble de la résistance, et avec le « symbole », De Gaulle.

Selon la conception « pédagogique » – références précises et documents irréfutables – de la propagande socialiste, les deux tiers de la brochure sont constitués de textes intégraux ou extraits des prises de positions des socialistes diffusés dans
Le Populaire clandestin (zone nord et zone sud) durant la guerre. En 1945, la SFIO rééditera dans un coffret souvenir, des fac-similés des Populaire clandestins, et des tracts. Nous reviendrons sur ces textes, et sur le rôle du Populaire.

NB : nous avons corrigé quelques coquilles dans les prénoms des acteurs cités, et précisés entre [ crochets] les noms de certains résistants non cités.
F. C.

(1) Pierre Guidoni, Robert Verdier (dir.), Les socialistes en Résistance, Seli Arslan, 1999.


Les membres des sections du parti socialiste, après quatre années de guerre et d’oppression, ont repris l’habitude de se réunir librement, Les délégués des fédérations départementales peuvent maintenant se rassembler ouvertement en congrès.

Le journal socialiste, notre vieux Populaire, qui n’a jamais cesse de paraître est publié au grand jour. Dès le 20 août en pleine insurrection parisienne, alors que les automitrailleuses et les tanks des SS, patrouillaient sur les places et les grands boulevards, alors que nos camarades de la place Maubert, des Xe, XVIIIe, XXe arrondissements livraient de farouches combats pour défendre les bâtiments publics, d’où ils avaient chassé, avec les autres groupes de résistance, les fonctionnaires de Vichy, la rédaction du Populaire s’installait par la force dans l’immeuble du Matin et préparait pour le 21, le premier numéro légal, qui exaltait l’héroïsme du peuple de Paris.

Ce parti socialiste, dont la disparition définitive avait été proclamée légèrement par les ennemis de la justice et de la liberté, sort grandi de l’épreuve qu’il a subie avec toute la nation française. Il est plus puissant et plus uni qu’il ne l’a jamais été. C’est qu’il a trouvé dans ses rangs des milliers de militants dévoués et héroïques. C’est au sacrifice de ces hommes que les socialistes français doivent la possibilité de se réunir aujourd’hui librement et de reprendre, dans la légalité et la liberté, un combat que les meilleurs d’entre eux n’ont jamais déserté.

Un acte de piété s’impose à nous. Saluons tous nos martyrs – ceux qui après avoir subi d’affreuses tortures sont encore éloignés de nos rangs et attendent dans les camps de prisonniers ou les bagnes de la Gestapo, de recouvrer la liberté et de se mêler à nous ; ceux que nous ne reverrons jamais et qui sont morts héroïquement face au peloton d’exécution.

Nos victimes hélas ! sont trop nombreuses pour que nous puissions les énumérer toutes. Signalons seulement, pour montrer la part que les socialistes ont prise au combat, et à quel point nos cadres ont été décimés par la répression ; que dans telle fédération de l’Ouest de la France, quatre membres du bureau fédéral ont été fusillés ou sont morts à la suite des mauvais traitements ; que, dans telle autre, sur quinze membres de la commission exécutive fédérale, sept sont actuellement déportés ; que dans une troisième enfin, neuf de nos camarades, surpris dans une opération de parachutage, ont été exécutés.

Puissent ces douloureux souvenirs demeurer éternellement gravés au cœur des militants pour leur dicter leur devoir et leur rappeler la grandeur de la tâche qu’il reste à accomplir

JUILLET 1940
Si l’on veut rendre vraiment justice aux hommes qui ont construit le parti socialiste et l’ont conduit à la bataille, il faut se rappeler la situation de l’été 1940.

Ceux qui ne connaissaient pas la vie profonde de notre organisation et la foi robuste de ses militants, pouvaient avoir l’impression que le parti socialiste s’était effondré et se trouvait frappé d’une paralysie complète et définitive.

Brusquement, nous qui étions habitués à l’action légale et aux formes de la vie démocratie, nous étions obligés de passer à1’action clandestine, pour laquelle nous n’étions nullement préparés. Il y avait plus grave encore ; toute l’armature du parti paraissait avoir été brisée d’un seul coup. Les militants socialistes pensaient que, même réduits à l’impuissance, les députés et les sénateurs de leur parti, réunis à l’Assemblée nationale de Vichy, le 11 juillet 1940, accompliraient un geste pour sauver l’honneur et signifieraient avec éclat, qu’ils se refusaient à accepter la capitulation de la France et la destruction de la République. Bien au contraire, la plus grande partie du groupe socialiste se déshonorait avec présente tout le Parlement élu en 1936 en accordant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.

Le secrétariat général du parti ne donnait même pas signe de vie. Il disparaissait sans bruit, sans grandeur jusqu’au jour où on devait apprendre que Paul Faure acceptait d’être nommé conseiller national par le gouvernement de la trahison.

Pire encore ! Dès le mois d’août 1940, on voyait paraître en zone sud un journal qui prétendant prendre la suite du Populaire, avec son ancien administrateur, avec les signatures de Paul Rives, Spinasse, Roucayrol, Peschadour, etc. ; il faisait l’apologie de Pétain, instruisait le procès de la démocratie, dénonçait le « bellicisme » de Léon Blum, confondait le pacifisme avec la servitude, et l’entente franco-allemande avec la « collaboration ».

Telle était la situation du parti socialiste au cours de l’été 1940. Elle pouvait paraître tout à fait décourageante.

Cependant nos militants socialistes se sont rappelé que sur les quatre-vingts protestataires de Vichy, trente-six, soit 45 % étaient socialistes. Ils savaient surtout que Léon Blum qui avait pendant vingt ans exercé sur le parti la plus grande autorité morale, dont ils avaient si souvent admiré la clairvoyance et le courage civique, qui, aux yeux du monde entier, incarnait le socialisme français contemporain, était resté fidèle à son parti, à son idéal, à lui-même.

Après avoir été l’âme du petit groupe des irréductibles, il demeurait en France, aimant mieux affronter les dangers qu’abandonner le combat et renoncer à défendre la République et le socialisme, accusés d’être les responsables de la défaite.

Voilà quels exemples de fidélité et de courage ont pu exalter les militants et les aider à surmonter tous les découragements.

Ils ont repris la lutte. Qui a commencé ? Où et quand ? Il serait bien difficile de le dire, car on a pu constater par la suite qu’en de nombreux endroits les sections socialistes, débarrassées des traîtres et des timorés, s’étaient spontanément regroupées avant d’avoir reçu un mot d’ordre. Un nom pourtant parmi les pionniers de la reconstruction doit être cité : celui d’Henri Ribière, compagnon de lutte de Marx Dormoy, il est assurément le premier à avoir entrepris ces pénibles voyages dont beaucoup d’entre nous devaient par la suite prendre l’habitude. Dès la fin du mois de juillet 1940, il parcourt la zone sud, sautant d’un train dans l’autre, couchant dans les wagons ou dans les salles d’attente pour éviter de laisser les traces de son passage. Au prix de mille ruses, il franchit souvent la ligne de démarcation. Grâce à sa mémoire prodigieuse, à laquelle nous avons eu si souvent recours, il retrouve un peu partout des socialistes. On peut affirmer sans crainte de se tromper, que les premiers contacts réguliers entre les socialistes ont été établis grâce à Henri Ribière.

LA ZONE SUD
L’existence de la ligne de démarcation a contraint les socialistes des deux zones, malgré leurs liaisons fréquentes à s’organiser dans une large autonomie jusqu’en juin 1943. Nous devons étudier séparément l’histoire de la reconstruction du parti dans la zone nord et dans la zone sud.

Grâce aux premiers contacts établis dès juillet et août 1940 dans toute la zone sud, plusieurs réunions d’organisation ont pu avoir lieu dès le début de1941. La première a eu lieu à Nîmes, au mois de mars. Les camarades qui s’y étaient rencontrés se sont de nouveau retrouvés en mai à Lyon, puis à Toulouse le 21 juin. C’est cette dernière réunion qui constitue l’étape la plus importante dans ce premier travail de regroupement socialiste en zone sud.

En effet, c’est là que fut décidée la répartition du travail par la division de la zone sud en un certain nombre de régions groupant plusieurs départements et dirigées chacune par un responsable. C’est également là que fut créé le comité directeur avec son bureau de quatre membres dont le secrétaire fut Daniel Mayer et la trésorière, une camarade aujourd’hui déportée [Suzanne Buisson]. Un délégué permanent chargé tout spécialement des liaisons entre les régions fut également désigné, c’était Edouard Froment.

Dès lors, il fut possible d’organiser régulièrement des réunions, sortes de petits congrès qui rassemblèrent d’abord, à l’échelon de la région, tous les secrétaires départementaux, puis, par la suite, les responsables de chaque secteur du département. Le regroupement des forces socialistes s’en trouva considérablement accéléré. En outre, il fut possible, par cette méthode, de maintenir constamment le contact entre le comité directeur et le plus grand nombre possible de camarades.

Il va de soi que l’activité des socialistes de la zone sud ne s’est pas limitée à la reconstruction de leur parti. Ils ont fait un travail de propagande active pour éclairer l’opinion, la redresser et dénoncer la trahison du gouvernement de Pétain qui avait réussi à abuser un trop grand nombre d’esprits. Sans doute cette action pouvait, paraître plus aisée en zone sud qu’en zone nord. La police de Vichy était alors moins redoutable que la police allemande. Il faut bien avouer par contre que nos camarades et tous les résistants se heurtaient à une plus grande apathie. La présence de l’occupant ne stimulait pas, comme en zone nord, les sentiments patriotiques. Il fallait dénoncer la complicité de Vichy qui n’était pas encore éclatante ; il fallait mettre en lumière les liens qui unissaient la politique de réaction à la politique de trahison.

C’est ce qu’ont fait nos camarades. Ils ont d’abord publié des tracts pour dénoncer à chaque occasion les fautes criminelles du gouvernement de Pétain. Ils se sont efforcés de ranimer l’ardeur des masses populaires, notamment en les invitant à célébrer les grandes fêtes nationales. À l’occasion du 14 juillet 1941, ils ont collé sur les murs des grandes villes des papillons dont le texte simple avait alors toute sa valeur parce qu’il redonnait sa signification à cette date et rappelait au peuple français la tradition révolutionnaire, avec laquelle Vichy voulait rompre à 1a faveur de la défaite :
14 Juillet 1941
Liberté, Egalité, Fraternité
Vive la République.

L’année suivante la fête nationales fut célébrée dans toute la zone sud par de grands rassemblements. À Marseille, à Toulouse, à Clermont-Ferrand, nos camarades en ont été les promoteurs et les animateurs.

Ces formes de résistance peuvent aujourd’hui paraître bien timides. Elles étaient alors nécessaires pour opérer un redressement des esprits encore abattus par la défaite. Les socialistes ont montré par là qu’ils n’avaient jamais désarmé et que leur lutte pour la Patrie et pour la République s’est poursuivie sans interruption en revêtant les aspects les plus divers selon les temps et les lieux.

Le procès de Riom fut une éclatante manifestation de la pensée socialiste grâce aux interventions de Léon Blum et d’André Le Troquer qui, s’adressant moins aux juges choisis par Vichy qu’à la France et au monde, ont grandement participé au réveil de l’opinion publique. Après dix-huit mois d’oppression et de silence, les Français ont entendu résonner, malgré les précautions prises pour étouffer leurs voix, la parole d’hommes libres qu’aucune contrainte n’empêchait de dire la vérité. Dans sa première déclaration, le 19 février 1942, Léon Blum dénonçait les intentions du gouvernement du maréchal Pétain et montrait le sens véritable du procès.

« Un débat sur les responsabilités de la défaite, d’où toutes les responsabilités militaires ont été exclues de parti pris devient par la force des choses, en même temps qu’un attentat volontaire à la vérité, une prise à partie du régime républicain… Croyez-vous qu’il réponde à l’intérêt du pays, à la volonté du pays qui appelle la vérité et qui n’a pas renié la République ?… Procès de la République, qui est pourtant encore l’établissement légal du pays ; — procès du régime, des mœurs, des méthodes démocratiques ; — procès de la politique de justice et de conciliation sociales qu’avait pratiquées le gouvernement que je présidais. Et alors, il nous incombera de prouver à la France qu’elle n’est pas le peuple dégénéré qui, pour avoir cru à la liberté et au progrès, devrait expier son idéal et se courber sous le châtiment. Si la République reste l’accusée, nous resterons à notre poste de combat comme ses témoins et comme ses défenseurs. »

Inculpé d’avoir trahi les devoirs de sa charge, Léon Blum retournait victorieusement l’accusation contre les accusateurs :

« Le dossier établit que précisément, à partir de juin 36, nous avons fait ce qu’on n’avait pas fait avant nous. Le gouvernement que je présidais a mis en train un programme d’ensemble, sans commune mesure avec tous ceux qui avaient pu le précéder ; que ce programme qui n’était pas sur le papier, a été exécuté, que jamais les crédits ne lui ont manqué, qu’au moment de l’entrée en guerre, il était en avance sur les délais prévus d’exécution. S’il n’était pas achevé à cette époque, s’il n’avait pas été entrepris sur un plan industriel plus méthodique, c’est qu’il l’avait été trop tard et ce démarrage tardif est précisément ce qui engage les responsabilités antérieures à 1936… On a cherché à faire rejaillir sur le Front populaire, sur la politique ouvrière et sociale qu’il a pratiquée et, à travers lui, sur les institutions démocratiques, la responsabilité de la défaite. »

Au cours des audiences des 10 et 11 mars, il montrait comment, dans la politique de 1936, tout s’était harmonieusement et étroitement lié : défense des libertés publiques, progrès
social, reprise de l’activité économique, défense de la Patrie contre les impérialismes fascistes.
En donnant des précisions, en rappelant des
faits incontestables, il apportait la preuve que
toute l’action du parti socialiste avait eu pour
but de sceller l’union du peuple français pour
faire front aux agressions que l’Allemagne et
l’Italie méditaient depuis longtemps. Les lois
sociales de 1936, que le régime de Vichy s’est
acharné à détruire, devaient combler le fossé
qu’une politique conservatrice et particulièrement les mesures déflationnistes de Laval avaient creusé entre la Nation et la classe
ouvrière :

« Karl Marx a dit que le prolétaire n’a pas
de patrie, en quoi il était d’accord avec toutes les législations antiques, car en Grèce et à Rome, le prolétaire qui n’avait pas de bien à défendre, n’était pas soldat. Mais Jaurès a dit que, si le prolétaire n’avait pas de patrie, le progrès républicain, peu à peu, lui en a fait une, créée pour lui peu à peu, une co-propriété de la patrie. Cet accord unanime qu’on a trouvé en France au moment de la mobilisation était un peu la conséquence de tout cela et, par conséquent, était un peu notre œuvre. »

Léon Blum rappelait surtout ses vaines tentatives pour constituer au lendemain de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne hitlérienne, ce qu’on appelle aujourd’hui un gouvernement d’unanimité française :

« A la tribune, j’ai répété à l’opposition : les circonstances exigeraient en ce moment l’union de tous les Français, je l’ai offerte, je l’offre encore. Dites un mot, faites un geste et je descends de cette tribune pour aller porter ma démission au Président de la République et lui désigner l’homme qui pourrait le mieux réussir dans l’entreprise que j’ai tentées vainement. Les mêmes hommes qui avaient provoqué le revirement de la salle Colbert m’ont répondu par un refus. »

De son côté, André Le Troquer, avec une ironie mordante, dénonçait les efforts de Vichy pour étouffer les droits de la défense. Grâce à lui, des journalistes étrangers présents au procès, avaient connaissance des consignes à la fois ridicules et scandaleuses données à la presse par la censure.

On sait comment le procès tourna à la confusion de ses organisateurs et fut brusquement interrompu. Pour le pays et pour le monde entier, le verdict était rendu : la trahison des hommes qui, à la faveur de la défaite, s’étaient rués au pouvoir ne faisait plus de doute.

Par les publications clandestines du parti, un nombre immense de Français a pu savoir ce qui avait été réellement dit au procès. L’opinion publique, encore stupéfaite, commença à se réveiller. La « résistance » encore fragmentaire, entreprise seulement par les citoyens les plus courageux qui n’avaient jamais désespéré, trouva des concours de plus en plus nombreux. On commença aussi à comprendre, et cela c’est en grande partie à Léon Blum qu’on le doit, qu’on ne pouvait séparer la politique de réaction à l’intérieur de la politique de capitulation devant l’envahisseur. La résistance avait désormais une politique.

Encouragés par cette évolution des esprits et par leurs premiers succès, nos camarades organisèrent la publication régulière du Populaire clandestin. Le parti socialiste a le devoir de rendre hommage à ceux qui l’ont rédigé, composé, imprimé, diffusé, en particulier à notre camarade Orsoni, secrétaire du syndicat des typographes, fusillé par les Allemands. Il doit aussi exprimer sa reconnaissance à tous les agents de liaison qui, régulièrement, pendant des mois et des mois sont venus à Lyon pour prendre ces lourdes valises chargées de journaux qu’ils emportaient dans tous les coins de la zone sud

Parmi les numéros parus à cette époque, il convient de signaler particulièrement celui du 15 juin 1942 qui contenait un important manifeste précisant les caractères et le programme de la nouvelle organisation socialiste. Et tout d’abord une déclaration formelle sur l’épuration et le rajeunissement des cadres : « Le parti socialiste a rompu délibérément et définitivement avec ceux de ses membres dont le courage moral ou physique était inférieur à l’Instinct de conservation immédiate. Il a rompu délibérément et définitivement avec ceux de ses élus qui n’ont pas su manifester leur attachement à la République en s’élevant contre les tentatives de césarisme et qui ont préféré pactiser avec la force provisoirement triomphante plutôt que de poursuivre la lutte ». Mais les hommes nouveaux qui venaient d’accepter les lourdes responsabilités de rassembler les militants socialistes affirment solennellement qu’ils ne prétendaient pas former un parti nouveau, rompant avec la tradition et la doctrine dont les événements confirmaient la valeur et que quelques défaillances individuelles ne pouvaient compromettre : « Instruit par l’expérience, ayant tiré des événements les leçons qui s’en dégageaient, désireux de ne plus renouveler ses erreurs et ses fautes, le comité d’action socialiste n’en est que plus à l’aise pour affirmer la pérennité de la doctrine socialiste. Adversaire résolu du régime capitaliste, résolu à supprimer l’odieux scandale du profit personnel, désireux d’une répartition équitable entre tous les hommes des immenses richesses du globe, le comité d’action socialiste – parti des travailleurs, ouvriers et paysans – affirme solennellement que seule l’application de sa doctrine peut sauver le monde du désordre et de la mort ».

Enfin, le manifeste donnait les consignes pour la lutte immédiate, appelait les militants à entrer dans la bataille de la résistance dans la bataille de la résistance :

« En France, toute activité pour le socialisme est subordonnée à la libération du territoire, et s’il convient d’appeler les hommes à une action ultérieure, pour la création d’un régime nouveau, il convient d’ores et déjà de les convier à la lutte pour l’indépendance nationale. Le comité d’action socialiste pense que, pour cette tâche de libération, toutes les bonnes volontés, tous les concours quels qu’ils soient, sont souhaitables, nécessaires et doivent être utilisés. Il est prêt à poursuivre ses contacts avec tous les mouvements de résistance, en particulier avec ce que l’on appelle communément « le gaullisme ». Pour nous, le général de Gaule est le symbole naturel et nécessaire de la résistance et de la libération. »

Voilà en quels termes, dénués d’équivoque, Le Populaire sonnait le rassemblement des forces socialistes et républicaines en juin 1942.

À côté de l’organe central du parti, il y a eu aussi tout un réseau de journaux régionaux parmi lesquels il faut citer : L’Espoir, publié à Marseille et diffusé à travers les départements de la région provençale ; Le Populaire du Bas-Languedoc, de Montpellier ; Le Populaire du Midi, à Toulouse ; Le Populaire du Centre, à Limoges… et celui de Clermont-Ferrand !

Ainsi les mots d’ordre du parti ont pu être largement répandus. Par toutes ces publications régionales, les socialistes ont exercé une grande influence sur l’opinion et ont contribué à amener de nombreux citoyens à la résistance.

Si l’on voulait donner une image fidèle de l’activité des socialistes dans la zone sud, durant cette période, il faudrait rappeler aussi tout ce que nos camarades ont fait dans la résistance pour l’action contre l’ennemi et l’aide effective aux armées alliées et à l’armée française groupée autour du général de Gaulle. Les uns ont organisé de vastes réseaux de renseignements militaires qui couvraient tous les départements, grâce au concours que leur apportaient tous les militants. Les autres, cheminots, postiers, ouvriers, fonctionnaires tout en agissant sur l’opinion publique par la propagande du parti ont, dès ce moment-là, participé aux premiers travaux de sabotage qui devaient par la suite se développer avec une telle ampleur qu’ils ont considérablement paralysé l’ennemi dans les combats décisifs.

Nous laissons volontairement de côté tout cet aspect de notre action. L’histoire en sera faite un jour ; aujourd’hui, il s’agit simplement de raconter la reconstruction du parti et le regroupement de ses forces.

Il faut dire, toutefois que c’est à la suite d’une décision formelle, prise également en zone nord, que le parti socialiste n’a pas voulu créer ses propres groupes de combat et d’action militaire. Déjà des mouvements de résistance étaient nés ; il fallait donc éviter la dispersion des forces. Il a paru plus conforme aux nécessités de l’action clandestine d’engager les militants socialistes à séparer l’action politique de la lutte militaire et à entrer dans ces organisations qui, ayant pour objet principal la lutte contre l’envahisseur, pouvaient rassembler un très grand nombre de Français, malgré la diversité de leurs opinions. Cette attitude du parti socialiste procède de la volonté de faciliter l’unité de la résistance et de coordonner toutes les forces qui se levaient pour défendre la Patrie.

EN ZONE NORD
On pouvait penser qu’en zone nord, la reconstruction et l’action du parti socialiste se heurteraient à de grandes difficultés. Il n’en a rien été. Sans doute la Gestapo a exercé dès le début une étroite surveillance. Mais la présence des armées d’occupation, l’outrage ressenti quotidiennement, ont suscité, dès les premiers mois une grande volonté de lutte chez tous les Français. Il a été plus facile qu’en zone sud de remuer dès le début, les masses populaires et de faire une propagande active et efficace.

Ici encore, beaucoup de sections débarrassées de leurs traîtres et de tous les éléments douteux se sont regroupées spontanément. Il faut citer en particulier l’activité manifestée dès les premiers mois, on pourrait même dire dès les premiers jours de l’occupation, par un petit noyau de la 5° section de Paris. Grâce à eux, et surtout grâce à un fidèle militant [Amédée Dunois], qui, malgré son âge, a conservé une extraordinaire ardeur combative et une grande jeunesse d’esprit, mais que nous ne pouvons pas encore nommer parce qu’il est actuellement déporté en Allemagne, un certain nombre de camarades se sont efforcés de coordonner l’action des groupes épars qui partout manifestaient la vitalité du socialisme. Ils ont créé ainsi l’embryon de ce qui est devenu, en janvier 1941, le comité d’action socialiste (CAS) de la zone nord.

Son premier travail a été de reconstituer la fédération de la Seine à qui incombait tout naturellement par sa situation la tâche de supporter le poids de l’organisation pratique. Un réseau de liaison a pu être rapidement établi, bien que la plupart des militants les plus connus et par là même les plus menacés aient été obligés de se cacher ou de partir en zone sud. Par ce regroupement des forces parisiennes et grâce aux innombrables concours qui ont été trouvés dès la première heure, il a été possible de répandre dès le premier hiver de nombreuses publications clandestines. Il convient de citer en particulier celles qui ont eu le plus grand succès. D’abord un tract qui appelait les Français à la défense de l’indépendance nationale et les libertés civiques. Ensuite et surtout une brochure de notre camarade Charles Dumas, intitulée : De la capitulation à la trahison. Avec des preuves irréfutables, avec des faits et des textes, Charles Dumas faisait éclater la préméditation du complot qui avait amené la défaite de la France. Son succès fut immense. Passant de main en main, elle est devenue rapidement introuvable.

La publication de cette brochure n’a pas été seulement un acte de propagande. Elle a considérablement facilité le rétablissement de nos liaisons avec la province. Un de nos camarades avait eu soin de conserver un fichier renfermant les adresses d’un grand nombre de socialistes demeurant dans les départements de la zone nord. C’est ainsi que nous avons pu faire parvenir cette publication. Cet envoi a été pour beaucoup le signal de la renaissance du parti socialiste en zone nord. Il convient de signaler en particulier ce qu’ont fait nos camarades des fédérations du Nord et du Pas-de-Calais. Ayant reçu un exemplaire de cette brochure, ils l’ont spontanément reproduite à trente-cinq mille exemplaires. On pouvait dire dès lors que l’activité socialiste avait repris dans ces deux départements où nos forces ont toujours été si importantes.

Par des moyens analogues, les contacts entre le comité de la zone nord ont été rapidement établis, notamment avec l’Aisne par Elie Bloncourt, avec toute la Bretagne par Tanguy Prigent, la Normandie par Henri Ribière, la Bourgogne par Jean Bouhey après son retour de captivité, la Gironde par Audeguil, l’Oise par un camarade aujourd’hui déporté, la vallée de la Loire par Jean Meunier et Robert Mauger. Le réseau s’est sans cesse développé, et ceux qui avaient donné l’impulsion première ont appelé à siéger régulièrement à leurs côtés les camarades des régions les plus importantes.

Le comité de zone nord s’est organisé méthodiquement. Son premier secrétaire est aujourd’hui déporté [Jean Lebas]. Son trésorier, Raoul Evrard, qui n’a jamais cessé de lutter, est mort quelques mois avant la libération. Elie Bloncourt, comme président, a dirigé jusqu’à la fin toutes les réunions du comité.

La zone nord fut divisée en trois grandes régions. Un délégué permanent était chargé d’assurer dans chacun le maintien des contacts, la diffusion des publications, le développement progressif de la propagande. Comme en zone sud, ils ont organisé dans tous les départements des réunions groupant les responsables de l’action locale. Ainsi, malgré les difficultés de liaison, malgré les arrestations, tous les départements de la zone nord ont pu être organisés.

Pour assurer la diffusion de tout ce que le comité de la zone nord avait décidé de publier, d’innombrables concours ont été trouvés. Et d’abord à Paris où, malgré les arrestations successives, le parti socialiste a toujours disposé des imprimeries de plusieurs camarades ; où des cyclistes et des camionneurs ont réparti les journaux, les brochures et les tracts dans les divers dépôts. En province ensuite, où les cheminots et les postiers, rivalisant d’habileté et de courage, assuraient le transport et la réception de tous les envois.

Parmi les publications qui ont eu, avec celles que nous avons déjà citées, le plus grand succès, rappelons un tract qui dénonçait les assassins de Marx Dormoy et la complicité du gouvernement de Vichy ; un autre qui, grâce aux renseignements fournis par des cheminots, indiquait les chiffres précis des prélèvements mensuels opérés par les Allemands sur la production française ; il était intitulé : « Pourquoi nous mourons de faim. » Enfin et surtout, la brochure qui reproduisait l’essentiel des déclarations de Léon Blum au procès de Riom.

Après Socialisme et liberté, qui fut le premier journal du comité de la zone nord, Le Populaire a reparu comme en zone sud. Son tirage n’a cessé d’augmenter de mois en mois.

Les mots d’ordre qu’il donnait aux militants, pour n’être pas toujours formulés dans les mêmes termes, étaient identiques à ceux que répandait à la même époque l’édition de la zone sud. Il convient de signaler en particulier le numéro 16 (16 janvier-1er février 1943) qui contenait le programme adopté par le comité nord. Une remarque s’impose : dès le début de 1943, on trouve dans le journal socialiste l’essentiel de ce qui devait être, un an plus tard, la charte du CNR.

On lira d’autre part les textes du comité de la zone nord qui ont affirmé la nécessité de l’union derrière le général de Gaulle et, au moment du débarquement allié en Afrique du Nord, proclamé la volonté des socialistes de n’admettre aucune compromission avec les hommes de Vichy.

Ainsi, passant de main en main, notre Populaire a courageusement joué son rôle de journal libre, appelant les citoyens à l’action immédiate, éclairant l’opinion publique sur les problèmes politiques, dissipant les équivoques.

Naturellement, comme en zone sud, les socialistes ont activement participé à la lutte contre les armées d’occupation. Ils l’ont fait en s’inspirant des mêmes méthodes. La plupart d’entre eux ont été les animateurs du mouvement « Libération-Nord », qui a été l’une des premières organisations de résistance en zone nord. Sabotages, organisation de maquis, service de renseignements, parachutages d’armes, secours aux réfractaires et aux aviateurs alliés, aucune forme d’activité n’a été laissée de côté par nos militants. Nous écrirons un jour l’histoire de leur action. Citons dès aujourd’hui l’exemple d’un de nos camarades, actuellement déporté, qui, pendant des mois et des mois, a fourni à des milliers de réfractaires au STO et de militants illégaux, les papiers qui leur étaient nécessaires pour sauvegarder leur liberté.

LE COMITE EXECUTIF

Une date importante dans la vie clandestine du parti socialiste a été la coordination plus étroite de l’action des deux zones par la création du comité exécutif.

Ce nouveau, progrès fut le résultat du voyage de Daniel Mayer à Londres, en avril et mai 1943. Il avait été chargé d’aller donner des informations sur l’action du parti socialiste au général de Gaulle et à nos camarades partis pour continuer la lutte aux côtés des alliés. Ceux-ci avaient constitué, dans la capitale anglaise, 1’ « Union Jean-Jaurès ». Après avoir constaté un accord total avec eux, Daniel Mayer fit le compte rendu de ses entretiens devant les deux comités de la zone nord et de la zone sud, qui arrêtèrent les termes d’un manifeste publié dans Le Populaire (n° 22, édition zone nord, 11 juillet 1943). On en trouvera plus loin le texte intégral. Les idées qui avaient été sans cesse exprimées depuis dix-huit mois dans tous nos journaux et dans tous nos manifestes, s’y trouvaient assemblées pour constituer la charte de toute notre action clandestine en même temps qu’une définition claire de la politique future du socialisme français : unité de tous les résistants derrière le général de Gaulle ; critique du paternalisme et de l’étatisme vichyssois ; nécessité de rétablir la démocratie politique consolidée, dès la libération du territoire national, par de profondes réformes sociales et économiques ; établissement de la paix par la création d’un super-Etat. On constatera encore une fois, en lisant ce document, la continuité de la pensée et de l’action socialiste dans sa lutte pour la liberté, la justice sociale et la paix.

Le voyage de Daniel Mayer eut un autre résultat : il permit d’unifier et de coordonner plus étroitement les efforts des militants des deux zones par la création du comité exécutif. Ainsi se trouvait définitivement établie, jusqu’à la libération ou, plutôt, jusqu’au premier rassemblement légal des socialistes, la structure du parti clandestin. Au sommet, le comité exécutif, composé de camarades choisis par les comités de zones nord et sud ; ceux-ci continuaient à assurer le travail d’organisation et de propagande dans les départements de leur ressort et en même temps avaient un rôle de contrôle et de suggestion. Il était entendu dès lors que les militants composant les organismes centraux démissionneraient devant le premier congres légal chargé de juger la tâche accomplie dans l’action clandestine et de désigner un nouvel organisme de direction. Ainsi, tout en prenant allègrement leurs responsabilités, les organismes centraux s’efforçaient, malgré les difficultés, de maintenir des contacts étroits avec l’ensemble des militants et manifestaient leur volonté de se conformer, dès qu’il serait possible de le faire, aux règles fondamentales de la vie intérieure du parti socialiste.

Le Populaire du 1er juillet 1943 publiait une déclaration du comité exécutif qui traçait avec netteté la politique du parti socialiste :

« Le comité exécutif du parti socialiste, émanation des comités directeurs de chacune des zones et responsable devant eux, en attendant de rendre compte de son action à un congrès souverain convoqué dans une France libérée.

S’approprie tous les manifestes publiés depuis 1940 par les comités des diverses zones et félicite les militants indomptables qui, grâce à leur dynamisme et à leur courage, les ont diffusés, en même temps qu’ils reconstruisaient, un parti rénové.

Le comité exécutif rappelle à la fois la continuité de la doctrine socialiste, confirmée par les événements, et la nécessité de faire un parti neuf et jeune.

Il rappelle la condamnation qu’il a formulée contre les élus qui ont, le 10 juillet 1940, à Vichy, trahi à la fois la République et la France et les considère comme déchus de leur fonction parlementaire. Il examinera, dans un esprit de stricte justice, le cas de ceux qui, dès après leur défaillance, se sont rachetés par leurs fautes. Le parti souverain tranchera définitivement.

Le comité exécutif confirme leur mandat de le représenter à Londres, à Félix Gouin et André Philip, et à ce dernier l’autorisation de siéger au Comité national présidé par de Gaulle, pour y représenter l’ensemble de la Résistance, française.

Le comité exécutif espère d’ailleurs que l’accord nécessaire entre Alger et Londres se fera prochainement sous l’égide du général, de Gaulle, en sauvegardant sans réserve tous les principes républicains, en condamnant sans détour tous les hommes qui, de près ou de loin ont collaboré avec Vichy ou lui ont emprunté ses méthodes.

Le comité exécutif charge son délégué au Conseil national de la résistance française – dont il rappelle avec fierté que l’institution est d’initiative socialiste – de présenter le projet de programme commun élaboré par lui et de l’y défendre avec vigueur.

Enfin il mandate ceux de ses membres qui sont en contact officiel avec les délégués du comité central du parti communiste pour leur exprimer sa satisfaction de la dissolution du Komintern – obstacle de moins sur la route de l’unité, puisqu’elle permet l’intégration de la Russie soviétique dans la communauté internationale, comme l’intégration du parti communiste français dans la communauté nationale et de leur proposer une rencontre commune, ayant pour seul objet d’en étudier, sur un plan français, les conséquences pratiques.

Le comité exécutif ne saurait terminer ce bref rappel de la position socialiste sans envoyer un salut ému et affectueux à toutes les victimes de la répression, à tous ceux qui, otages emprisonnés ou déportés, souffrent, avec fierté et courage, à l’exemple de Léon Blum, pour que la France républicaine et socialiste reprenne bientôt sa place dans le monde.


C’est vers la même époque (27 mai 1943) que s’est réuni pour la première fois le Conseil national de la résistance. On sait quel rôle immense a joué cet organisme qui a coordonné la lutte, contre le gouvernement de Vichy et contre les armées d’occupation, en même temps qu’il jetait les bases, en accord avec le gouvernement d’Alger, de l’organisation politique provisoire de la France libérée. Le parti socialiste s’honore d’avoir réclamé, dès les premiers mois de l’année 1943, le rassemblement de toutes les forces « gaullistes » et résistantes qui jusqu’alors allaient à la bataille en ordre dispersé.

De même, il revendique l’initiative de l’établissement d’un programme commun. Soucieux de conserver, après la libération, l’unité qui s’était scellée dans la lutte et de lui donner une cohésion profonde par la mise au point des revendications fondamentales de l’immense majorité du peuple français, le parti socialiste a soumis au CNR, en novembre 1943, un texte que nous publions aujourd’hui. Il reprenait la plupart des idées exprimées jusqu’alors dans toutes nos publications. On verra aujourd’hui combien la charte de la résistance, adoptée en mars 1944, et maintenant connue dans toute la France, s’est inspirée des propositions faites par le parti socialiste. Celui-ci, une fois de plus, par son souci de clarté et de loyauté, avait efficacement travaillé pour l’unité de la résistance.

Son action a été également efficace dans la constitution des comités départementaux de la libération. Un grand nombre d’entre eux sont présidés par des socialistes. Partout, nos camarades sont présents, hier dans l’organisation de la lutte clandestine, aujourd’hui dans l’œuvre de reconstruction qui doit couronner quatre ans de combats obscurs et héroïques.

Les progrès réalisés dans notre organisation intérieure ont permis d’accroître d’une manière continue le tirage et la diffusion du Populaire et de multiplier nos publications. Il nous est impossible de les citer toutes. Signalons seulement nos tracts du 1er mai, du 14 juillet, celui qui a eu un si grand succès : « Morale socialiste » ; enfin, notre « appel aux jeunes de la classe 44 » menacés par le STO.

Dans la dernière phase de la lutte, malgré les difficultés de liaison, le comité exécutif a pu continuer à coordonner l’action de tous les socialistes. Il est demeuré à Paris, mais il a délégué en province, un certain nombre de ses membres, expressément chargés de les représenter, et avec lesquels les contacts ont été sans cesse maintenus. Ainsi, les socialistes se sont retrouvés prêts lorsque les combats ont commencé sur le sol français. Partout, en Normandie et en Bretagne, en Provence, à Toulouse, dans le Massif Central, à Paris, dans les Ardennes, nos camarades ont grossi les rangs des FFI. Ils y ont accompli les exploits dont le récit sera fait un jour.

Et toujours notre presse a témoigné de notre souci d’exalter le moral du peuple français, de l’appeler au combat. Au lendemain du débarquement, un numéro spécial du Populaire appelait les citoyens aux armes. Le 19 août au matin, lorsque se déclenchait l’insurrection parisienne, nos camarades distribuaient dans la capitale un tract reproduisant les consignes données par la radio de Londres le 17 août. Le mardi 22 août, le parti socialiste apposait sur les murs de Paris l’affiche « Vers la libération », pour demander au peuple de demeurer vigilant en face d’un ennemi qui ne respectait pas la trêve annoncée le dimanche soir 20 août.

Dès ce jour, la rédaction du Populaire s’est installée dans l’immeuble du journal collaborationniste Le Matin. Juste retour de fortune ! Clandestin pendant quatre ans, notre organe s’imprimait dès lors au grand jour, malgré la présence à Paris d’importantes unités allemandes. Jusqu’à la dernière heure, nos militants ont manifesté leur dévouement au socialisme et leur héroïsme. Plusieurs de nos vendeurs ont été abattus dans les rues de Paris. Certains, arrêtés par les SS, n’ont échappé à la mort que grâce à l’entrée dans la capitale des troupes françaises et alliées le vendredi 25 août.

La France a retrouvé sa liberté. La plus grande partie du territoire national est débarrassée de l’oppresseur. Mais la guerre continue. Cela nous dicte des devoirs. Tous les socialistes qui ont conscience d’avoir bien mérité de la patrie par quatre années de lutte clandestine, savent quels devoirs s’imposent à eux. Ils sont prêts à tout faire pour hâter la fin du conflit et des malheurs qui, par la volonté des dictateurs, déchirent le monde entier, et pour rendre à la France la place qu’elle a méritée dans le monde par tout ce qu’elle a apporté dans le passé à la civilisation et par les sacrifices que, dans le présent, elle a volontairement consentis pour la cause de l’humanité.

Les socialistes savent aussi que si la libération de leur pays et l’écrasement des régimes fascistes est le premier et le principal but de leurs efforts, une autre lutte, d’une forme différente, exigeant des vertus nouvelles, devra être entreprise dès que la paix sera rétablie... Il faudra rendre à tout jamais impossible la naissance des conflits mondiaux. Il faudra, établir dans tous les pays une société juste et libre. Il faudra appeler tous les citoyens du monde à partager les biens communs de la civilisation humaine.

Robert Verdier

ANNEXE
Extraits de documents : « textes des principaux manifestes publiés par le parti socialiste clandestin
Le Populaire, organe du comité d’action socialiste, 15 juin 1942, « Un manifeste du comité d’action socialiste ».

Le Populaire, nouvelle série, n°7, novembre 1942, proclamation publiée après l’entrées des troupes allemande en zone sud : « Contre Vichy ! Contre Hitler. Vive l’unité de la résistance française.

– Socialisme et liberté, organe du comité d’action socialiste, 1er décembre 1942, « Derrière de Gaulle ».

Le Populaire, organe du comité d’action socialiste,16 janvier-1er février 1943, « Socialisme et liberté », « Notre programme », présenté par Nicolas Moreau.

Le Populaire, organe du comité d’action socialiste, 1er juillet 1943, « le parti socialiste propose un programme commun à la résistance française ».

Le Populaire, organe du comité d’action socialiste, Février 1943, « Une concentration des partis sera-t-elle possible ? »

Le Populaire, organe du parti socialiste, édition zone sud, décembre 1943, « Les parlementaires et le parti ».

Le Populaire, organe du parti socialiste, septembre 1943, « message au président Roosevelt ».

– Juillet 1944, Le Pari socialiste membre du Conseil national de la résistance diffuse les dernières instructions du Conseil national « Au peuple Français ».

– « Au peuple de Paris », tract répandu le 19 août 1944 dans les rues de Paris.

– « Vers la libération », texte de l’affiche apposée par le parti socialiste sur les murs de Paris le mardi 22 août 1944.
Les mémoires de Robert Verdier
 

 
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